mardi 25 août 2015

Post-mortem anticipé : pourquoi et comment (ne pas) commettre le ragequit d'une production

J'ai échoué. Je crois.

Je viens de choisir d'abandonner la production de mon jeu après un an de travail entièrement vain, et la tradition veut qu'à la fin d'un "projet", on rédige un post-mortem dessus.

Plus précisément le jeu n'est pas mort, mais l'aventure est finie pour moi. Je ne m'attarderai pas sur les trucs factuels qui ont fait de cette année ce qu'elle a été, ni sur mes motivations initiales. Mon but ici est de tirer des généralités et de servir de contre-exemple à des gens innocents et peut-être trop ambitieux pour leur propre bien (c'est-à-dire moi dans cinq ans).

Mais attention, tout ceci n'a absolument aucune optique dissuasive, juste de mise en garde. Après m'avoir lu, si vous déprimez, allez plutôt regarder des démarches indépendantes qui ont réussi et méritent qu'on s'en inspire, parce que ça existe.

Bref, c'est parti.

Je voulais aérer/légender mon texte avec une image un peu pertinente et inspirante, genre un type qui écrit une lettre commençant par "Dear myself...", et sur Google j'ai juste trouvé des scans de manga yaoi. Alors contentez-vous d'un bébé ornithorynque.


Un plan typique pour ce genre d'article serait :

• What went wrong
• What went right
• What we learned


Le truc, c'est que je n'ai pas l'hypocrisie nécessaire pour couvrir ces deux derniers axes et commencer à dire que j'en retire quelque chose de positif.
Amertume mise à part, on va essayer malgré tout, parce qu'il y a des guidelines intéressantes qui doivent ressortir de tout ça. Allons-y !*
*Ce point d'exclamation est une méthode d'autopersuasion pour me faire croire que je suis motivé. Si vous lisez actuellement cet article, ça signifie que je l'ai terminé, donc que ça a marché. Yaaaay !


Alors, quelles sont les raisons potentielles pour lesquelles mener une telle production pendant un an peut s'avérer être une très, très mauvaise idée ?

Sommaire :

Intro :
Présentation du projet
Chapitre 1 : Questions financières
Chapitre 2 : Les erreurs techniques et professionnelles
Chapitre 3 : Cohésion et stabilité d'équipe
Chapitre 4 : Facteurs motivationnels
Epilogue : Savoir dire non

____

Intro - Présentation du projet, recontextualisation





Ça s'appelle Kawiteros et c'est un jeu en 2D où on joue un shaman au coeur d'une storyline poétique dans un monde inspiré d'une culture mexicaine, les contrôles sont plutôt platforming, quand on clique sur des objets il se passe des trucs, et graphiquement c'est beau.

VOILÀ

La manière dont je me vois contraint de torcher l'explication de la mécanique de jeu principale est déjà bien révélatrice des nombreuses coupes qu'on a dû effectuer dans le design avant d'atterrir sur quelque chose de franchement simpliste.
Non que ça ne marche pas ni que ce soit mauvais, au contraire, mais le process qui a abouti à ça est aussi épuisant que frustrant, et le résultat, c'est que la préproduction a duré un an et demi, et qu'il est fort probable que ceux qui en ont entendu parler au début finissent partiellement déçus. D'autant qu'ils croient en ce jeu et en son avenir. On a aussi deux autres circonstances aggravantes : le fait qu'on ait été une équipe de huit (c'est beaucoup !) et qu'il y ait eu un éditeur derrière nous, avec qui on a signé.

C'est cette étape de longue galère qu'on appelle couramment le development hell. Même en en étant sorti, le principe vicieux est là : à partir du moment où ta préprod a tellement consommé de ressources que tu n'entames le vrai travail que quand il devrait être fini, et en étant déjà épuisé, tu as intérêt à vraiment vraiment croire en ton projet pour continuer à le porter comme ton gamin. Ce qui n'a pas été mon cas. Et surtout, souvent les circonstances matérielles rendent ceci simplement impossible :

Chapitres 1 à 4 - Questions financières, erreurs techniques et professionnelles, stabilité de la team, facteurs motivationnels


[...]

En fait non, je ne les publierai pas !




Après l'avoir écrit en entier, je réalise que les détails du development hell, avec toute la pression et les échecs qui vont avec, ça n'a même pas sa place dans un post-mortem. C'est beaucoup trop factuel, personnel et sans intérêt. Alors je n'en parlerai pas.
Annuler des choses, en ce moment, c'est mon hobby, ahahahaha

Mais les guidelines que j'en retire n'en demeurent pas moins intéressantes, alors je les partage quand même. Pour comprendre le message, pas besoin d'en faire dix pages, ni même que je détaille la production où j'ai été. Le but de cet article est d'apprendre des choses et non se plaindre inutilement.

1) La thune :


Calimero facts :

• J'ai bossé un an sans salaire. :'(
• Le jeu coûte trop cher à produire donc les ventes ne nous rapporteront rien non plus. :'(

Ce qu'il y a à apprendre :

Ne commencez pas un projet sans être dans la situation préalable financière qui vous permet de le faire. Autrement, la spirale du besoin d'argent s'installe, et freine la production de plus en plus. Il faut partir du principe qu'un jeu indépendant ne sera jamais rentable, et si quelqu'un vous dit l'inverse, ne travaillez jamais avec.

2) Les erreurs techniques :


Calimero facts :

• Le design a changé trop souvent. :'(
• On a passé bien trop de temps à développer de mauvaises idées. :'(
• On a mobilisé deux graphistes pendant trois mois sur de la communication et non sur le jeu lui-même. :'(

Ce qu'il y a à apprendre :

Vous avez décidé de commencer votre prod. Great ! Bon courage. Et surtout, maintenant, faites les choses dans l'ordre. Par exemple, se préparer à faire du teasing ou à builder une communauté autour d'un jeu dont le design n'est pas finalisé, ça sonne comme une mauvaise idée de façon stupidement évidente ; et pourtant dans le feu de l'action, ce sont des écueils dans lesquels on peut plonger. Le point le plus important ici est :
• Lorsqu'une idée ou un élément (design, gameplay, code, visuels) paraît douteux, soulève des questions, etc, débarrassez-vous-en tout simplement. Dans ce contexte, on n'a pas le droit à l'erreur.



On est à mi-chemin, ça doit être encore plus gênant à lire qu'à écrire, reprenez donc un peu d'ornithorynque


3) Cohésion et stabilité d'équipe :


Calimero facts :

• Ça traînait parce que personne n'était disponible sur les 8 premiers mois. :'(
• Ensuite la moitié de la team n'aimait pas l'outil principal de workflow et perdait du temps avec. :'(

Ce qu'il y a à apprendre :

Travailler en équipe réduite, c'est être handicapé d'un tas de circonstances qui surviennent du fait qu'on est pas tout seul. Une équipe de X personnes qui n'a pas un workflow basique fonctionnel, ce sera simplement X poids morts mis les uns à côté des autres.
• Chaque personne doit connaître ses outils de travail convenablement. Ou avoir les moyens de s'y former très vite.
• Les gens doivent être présents les uns pour les autres. Une équipe splitée à travers la France, dont 70% a autre chose à faire de son quotidien, ça ne marchera pas.

4) Facteurs motivationnels :


Calimero facts :

• 80% de mon travail sur ces 10 mois ont dû être supprimés. :'(
• Ça se passait mal humainement au sein de la team. :'(

Ce qu'il y a à apprendre :

• Il faut ne pas tomber dans la théorie de l'engagement, c'est-à-dire le "quelque chose ne va pas ? Pas grave, c'est bientôt fini, et après y avoir passé tout ce temps ce serait dommage d'abandonner".
• De même, il est impossible que les visions que chacun a du projet, et du professionnalisme en général, divergent. Chercher à étouffer ça pour le bien du projet, c'est faire une grosse bêtise pour cacher la petite.
• Comme dit précédemment, si un point précis soulève une interrogation ou un doute, il faut le détruire. Sans quoi, on en paye les conséquences plus tard, et on arrive au stade où les soucis motivationnels et humains entravent le projet.

Epilogue - Savoir dire non :


Le chapitre #4 s'applique aussi à l'entièreté du projet. Dans mon cas, en premier lieu, l'accepter était une erreur, et je dois ma situation actuelle à mon incapacité (passée) à rejeter à temps quelque chose de complètement aberrant.
Autant dire que ça ne se produira pas deux fois, et que ce genre d'expérience te booste ta capacité à évaluer des besoins physiques et temporels, et surtout à réagir à ces évaluations en conséquence et éviter ceci :

Refaire tout le moteur physique et la scène complète ? Avec tous les événements pas encore scriptés ? Avant vendredi ? OUI JE PEUX FAIRE ÇA, AMÈNE-MOI UN DIX-SEPTIÈME CAFÉ

Alors, est-ce que je devrais regretter tous ces choix l'an dernier qui ont abouti à ce que j'aille me casser les dents tout seul sans rien en retirer ? D'abord, cette question soulève d'autres soucis d'ordre éditorial voire juridique et éthique dont il serait mal venu de parler dans un truc public. Ensuite, à l'époque dans ma tête, il y avait cette licorne rose sur fond arc-en-ciel clignotant qui répétait sans cesse "FOLLOW YUR DREAAAAAAMZ" et au fond je le pense toujours : si je ne l'avais pas fait, j'aurais aussi eu des regrets dus à la curiosité. Bref, le passé étant le passé, c'est une question qui n'a pas lieu d'être. (CECI DIT MAINTENANT J'AI UNE VIE DE MERDE et je vais beaucoup m'amuser à reconstruire tout ça)
_____

Voilà. Je vais juste finir sur une note optimiste et me dire que je vais rebondir là-dessus, et que mon prochain projet ne pourra pas être pire. Et non, cette dernière phrase n'est pas un défi lancé à mon karma !



dimanche 28 juin 2015

Exposer son jeu indé, et apprendre la vie en un mois

Hier c'était les remises de prix du concours Hits Playtime 2015 !

Un événement très cool qui s'est déroulé à la Gaîté Lyrique et où chacun est revenu sur un semestre de production de son jeu étudiant. Tout est revisionnable ici.

Des démonstrations qui ont fait écho à pas mal d'autres événements récents où je me suis également retrouvé à exposer mon jeu à leurs côtés, tels que Geekopolis ou Pitch My Game...
Ou encore ce petit truc méconnu à l'autre bout du monde, avec un nom à coucher dehors, genre "Electronic Entertainment Expo" je crois, bref ça n'intéresse personne mais je vais quand même en parler un peu.

En plus c'était vraiment dans un trou paumé...

Donc sur le mois dernier, j'ai vu émerger un tas de projets étudiants et/ou de jeux indé.
Alors, qu'est-ce que j'en retire ?

Conséquence #1 : rencontres et découvertes


Ils sont beaucoup trop nombreux pour pouvoir tous les citer mais ils valent vraiment le coup et certains devraient être sortis sur PC d'ici l'an prochain, c'est toujours sympa de les tester, les feedbacker, les soutenir et enfin se préparer à dire "EH JE LES CONNAISSAIS AVANT" quand ils domineront le monde.

Ce sont des expériences carrément enrichissantes quand on aime fabriquer des jeux en petite team restreinte. Déjà parce que tu rencontres un maximum de monde, et les jeunes indés étrangers, ils sont terriblement balèzes.

Et je suis tombé amoureux de Gardenarium, que je définirais comme un mashup de Journey, Hohokum et Adventure Time.


Conséquence #2 : les feedbacks


Ensuite parce que les gens découvrent ton jeu, voire même, si tu es chanceux, y jouent. Et le cas échéant ils partagent leur ressenti dessus, ce qui peut s'avérer carrément helpful pour la suite de sa conception, surtout quand ils ont le regard innocent d'un enfant tout jeune de 8 ans (comme à Geekopolis), ou d'un enfant moins jeune, genre 60 ans. Il paraît que la Gaîté Lyrique propose un espace où des gens du troisième âge peuvent tester des protos de jeux de petite envergure, et je brûle d'envie d'essayer ça.

Ma vie est accomplie.

Les enfants, c'est imprévisible, et c'est pour ça que je trouve ces occasions assez rigolotes.

Je suis sorti de Geekopolis avec l'idée d'une nouvelle méthodologie de développement pour la mécanique de Kawiteros (le jeu sur lequel je bosse), qui m'a été inspirée par la façon dont une gamine naviguait dans le jeu et expérimentait des trucs.

Elle était haute comme trois pommes, avait cinq ans à tout casser, a pris la manette, et a été celle qui a le mieux compris et maîtrisé le jeu, de tout le public. Elle était assez habituée au contrôleur pour que je la soupçonne d'avoir passé l'an dernier enchaînée dans une cave avec rien d'autre que du pain, de l'eau et un PC avec Super Meat Boy installé dessus.

Bref, cette petite a totalement perfect le prototype du jeu, puis s'est arrêtée d'un coup et a commencé à faire plein de mouvements erratiques dans la mauvaise direction. Alors comme je suis intrigué je m'approche d'elle :
- "Tu sais, la sortie du niveau est juste là à ta droite, tu peux y accéder maintenant que tu as résolu l'énigme"
- "Oui je sais, mais d'abord je veux trouver des glitchs"

...Ok. Dans une quinzaine d'années cette fille ridiculisera Microsoft d'une façon ou d'autre. J'aurais bien cherché à rester en contact avec son papa, mais j'aurais été un gros creep et il aurait probablement appelé la police.

Je ne me suis toujours pas remis de cette rencontre et j'ai réalisé à quel point les gens normaux sont ridicules et insignifiants à côté de génies comme ça.

Conséquence #3 : une guideline précieuse et un long débat avec moi-même, sans queue ni tête (le débat, pas moi-même)


Et enfin il y a la dernière catégorie de testeurs, ceux qu'on a davantage tendance à croiser à l'E3 plutôt qu'à Geekopolis : ceux qui te donnent envie de bosser avec eux et/ou te donnent une batterie de conseils voire d'opportunités pour que ton jeu devienne quelque chose à plus grande échelle.

Pour résumer, tous ces autres projets de Hits Playtime et de l'IndieCade m'ont rappelé un axiome tout con et pourtant tellement capital : il n'y a pas de jeu sans joueur et au fond ceci s'applique à toute démarche créative qui implique un utilisateur final.

Et, tiens, voilà encore une piste pour le vieux débat "le jeu vidéo est-il un art ?" : puisque les jeux sont toujours adressés à un joueur, alors que beaucoup d'artistes font ça pour eux, est-ce que finalement mettre les deux dans la même case ne constitue pas une erreur ? Bon, c'est encore une question qui n'a pas de réponse et je n'ai pas l'intention de m'engouffrer là-dedans (encore), mais je digresse facilement.

On peut creuser ce point de vue en analysant les oeuvres d'art profondément subversives et controversées, mieux connues auprès du public sous le nom de "foutage de gueule" :
• Tu peux faire exposer une toile blanche aléatoirement coulée dans du bitume et tu auras un public.
• À l'échelle du jeu vidéo, créer un fichier .exe qui n'ouvre aucune fenêtre quand tu le lances, ça ne marchera pas.

(L'oeuvre de William Green fait partie de mon top 3 des perles de Tate Modern, et vous pouvez imaginer à quoi ressemblent les deux autres. Et encore, soyons indulgent avec Green, la sienne se défend et il y a une démarche artistique derrière. En résumé : 4/10 would almost buy)

Une vive critique de la société française du vingtième siècle, une société chamboulée par deux Guerres Mondiales et...

Exemple pratique : qu'aurait fait Yves Klein s'il avait été game designer ? Il aurait probablement déposé une mécanique de jeu reposant sur un input seul et un feedback minimaliste. Il se serait peut-être fait connaître pour avoir développé une application qui joue un fa dièse quand le joueur pousse son stick vers la gauche. Mais cela n'aurait pas retenu l'intérêt d'un public. Du moins je crois. J'ai peut-être trop foi en l'humanité. Ou alors à l'inverse, je suis peut-être un petit con irrespectueux de la sensibilité artistique d'autrui. Oublions ça. Je ne suis pas en capacité de juger de la pertinence de ces trucs-là, et je pense que personne ne le peut.

Conséquence #4 : élargir sa vision du game design


Et plus précisément du rational game design. Il y a quelques jours, je trouvais sur Twitter un article de New York University qui a complètement démonté Flappy Bird (dans le sens Ikea du terme, pas de zoophilie ici) pour en exposer chaque paramètre et voir comment évoluait le niveau de difficulté et d'accessibilité du jeu.



[Là c'est le moment où si vous n'êtes pas game designer, la suite de l'article va être chiante. Sorry in advance !]

Le rational game design (RGD) est la méthodologie selon laquelle tout peut être découpé en paramètres (souvent numériques), modifiables un par un de façon à varier l'expérience fournie par un jeu.

L'événement de la Gaîté Lyrique hier, c'était aussi de petites conférences : et lors du talk de Maxence Voleau (replay ici, à 1h12 environ), cette idée a été brièvement évoquée. "Imaginons que je crée un jeu rapidement qui consiste à jeter une balle vers une cible, sur quoi est-ce que je pourrais jouer pour mettre de la variété ?"



Le but était de montrer les process itératifs rapides de création d'un clone d'Angry Birds d'un jeu qui repose par exemple sur une mécanique simple. Ici, il y avait le layout du niveau, le sens dans lequel la faire partir, la quantité de balles simultanées... La liste est virtuellement infinie et on aurait pu en imaginer bien d'autres comme la vitesse, la taille ou le poids de la balle.

À la fin de la démo, il a aussi été rappelé qu'on pouvait sans cesse élargir cette liste en ajoutant d'autres mécaniques qui engendrent d'autres paramètres, comme une inversion de la gravité à l'instant où une cible est atteinte : avec quelle force ? pour combien de temps ?

Voilà, le RGD c'est cool (ça la plupart des designer le savaient déjà), mais il y a un point supplémentaire qui valait vraiment la peine d'être relevé. Un truc grammatical.
Ce petit concept a été pitché en ces mots : "un jeu où l'on peut lancer une balle vers une cible".

Et peu après ce pitch, l'idée de mettre un nombre multiples de balles a été évoquée.

Ce qui m'a intéressé ici, c'est la façon dont l'anatomie du pitch du jeu et sa découpe pour du RGD viennent s'alimenter mutuellement : le pitch, c'est l'art de définir convenablement son jeu en allant droit au but, donc chaque mot compte. Leur fonction grammaticale aussi.

Plus précisément ce talk m'a fait comprendre une guideline cruciale : un bon pitch, c'est un pitch qu'on peut décortiquer pour retrouver les paramètres du RGD du jeu.

Well no, but games are grammar, and I think you'd make a really good designer.


C'est un jeu où l'on peut lancer une balle vers une cible.

Là, j'ai un article indéfini. Je peux en déduire qu'à cet endroit, il y aura probablement une valeur numérique qui va varier au cours du jeu.

C'est un jeu où l'on peut lancer une balle vers une cible.

Et ici, j'ai un verbe. Comme on le dit souvent, un verbe = une interaction entre deux éléments = une mécanique de jeu. C'est le moment de se demander selon quelles modalités ce truc va s'exécuter : avec quelle touche ? souris ou manette ? en maintenant + relâchant, ou en appuyant une fois sur le bouton ? La présence du verbe stipule que ces paramètres existent, mais le pitch ne doit surtout pas les expliciter, sinon il irait trop dans le détail, et ça deviendrait un mauvais pitch.

C'est un jeu où l'on peut lancer une balle vers une cible.

Le choix du sujet n'est pas anodin non plus. Ici, on a mis le focus sur le joueur. Si on avait dit "une balle est lancée vers une cible", on aurait perdu une certaine impression de contrôle, ou peut-être que cela n'aurait pas été la mécanique principale pour le joueur. Si l'on avait dit "une cible est visée par le lancer d'une balle", la tendance naturelle que l'on a à tout recentrer vers le joueur en écoutant un pitch nous aurait peut-être fait penser que le but du jeu est de protéger la cible.

Et une fois de plus, le sujet utilisé ici est un pronom impersonnel, qui laisse donc un doute sur une valeur numérique. Est-ce que le jeu est jouable en multi ? Ça pourrait être un party game où chacun lance la balle à tour de rôle. (Même si, pour le coup, le passer sous silence serait une mauvaise idée et rendrait le pitch ultra-incomplet)

Ce serait génial de découvrir que cette relation entre grammaire du pitch et RGD est systématisable. En bref, je suis peut-être parti un peu loin, mais c'est avec cette longue liste d'outils qu'on peut ensuite entamer le travail itératif dont parle Maxence dans sa conférence. Voilà, donc si par hasard tu lis ceci, merci pour ton talk de samedi !

Remerciements divers :



Laurent Checola, journaliste qui a fondé le concours Hits Playtime il y a quelques temps et grâce à qui les indie wannabe se rencontrent beaucoup plus facilement.

Oscar Barda, game designer qui gère l'espace Jeux Vidéo de la Gaîté Lyrique et permet au public de découvrir ces jeux indés, et a super bien aidé tout le monde à promouvoir ses jeux à l'E3.

Maxence Voleau, game designer que pas mal de mes amis ont eu la chance d'avoir comme prof, et qui m'aura aussi fait couler pas mal d'encre.

Mon carnet #13, parce que les oeuvres de Tate Modern, quand on a pas l'habitude de l'art minimaliste, c'est bien rigolo, et je m'en serais voulu de les oublier. (Le reste de mon top 3, pour info, c'est "Waiting" et "The Burn Hole", et il s'agit précisément de ce que leur nom laisse présager)

• United Airlines, parce que toutes ces heures à réfléchir à la notion de fuseau horaire m'ont donné des idées incroyables.

dimanche 29 mars 2015

Le futur, c'est dur

Ceci est une lettre ouverte à tous ceux qui ont les mains dans le développement de jeux.
Si tu as un pied dans l'industrie vidéoludique, ton avis me sera précieux, et il se peut même que tu trouves ma question intéressante.

Je me présente juste pour poser le contexte rapidement (oui tiens, c'est mon blog et je ne l'ai jamais fait) : j'ai 20 ans, un diplôme (bac+3) en Game Design dans une très bonne école, et j'ai stoppé mes études cette année pour me concentrer sur la production de ce qui était mon projet de fin d'études, un jeu du nom de Kawiteros.

C'est une situation sympa, je bosse en collaboration avec Neko Entertainment, on gère la production en équipe réduite et les choses vont bon train, à ceci près que ma rémunération en tant qu'auteur n'arrivera qu'à la concrétisation du projet, c'est-à-dire tardivement.

Tout le monde me dit "eh mais comment tu fais ça, c'est bancal", ce qui n'est pas faux, et je réponds invariablement : "oui mais, c'est un investissement long terme et une opportunité géniale", ce qui n'est pas faux non plus. La vérité c'est aussi que dans ce secteur, tout achievement intéressant constitue une prise de risques. Jolie mise en abyme quand ton job consiste déjà à créer des mécaniques de jeu.

Donc pour résumer : ma vie démarre (comprendre : je quitte l'easy mode "être étudiant") avec un boulot de game designer / développeur / chef de projet / jongleur / kamikaze, et je m'y accroche parce que c'est représentatif de ce que je veux pour le reste de ma vie.

Quand soudain :

"EH MAIS DIS DONC, T'AS PAS BAC+5, TU VAS RATER TA VIE LOL"

...



...Ah. Ok. Dommage.

Bon. Je ne vais pas rejeter cet avis sans réfléchir : à mon âge et à mon niveau d'expérience, il m'est parfaitement impossible de savoir si c'est ou non le cas. D'ailleurs, je devrais m'inquiéter du fait que cette remarque vienne d'une bonne trentaine de personnes. Mais en réalité je me fiche que ce soit vrai ou non, et j'aimerais qu'on accorde un peu plus d'importance au point de vue inverse, que beaucoup de monde doit probablement partager.

Je suis ce sale connard idéaliste qui demeure persuadé qu'on peut s'en sortir avec autre chose qu'un master dans ce secteur, alors qu'on s'acharne à me prouver l'inverse depuis maintenant trois ans. Et c'est un forcing qui a plutôt bien marché, parce que ce soir je suis là, à cinq heures du matin, à l'avant-veille de la deadline du concours de l'ENJMIN, et je me demande à quoi va ressembler le reste de ma vie. J'envisage actuellement de sortir un plugin pour Unity comme source de revenus à court terme, c'est un peu une bouteille à la mer, et cette expérience va sûrement finir par soit me conforter dans mon idée initiale, soit me faire changer d'avis radicalement.

Les notions de routine et de stabilité me font horreur. Bien qu'on puisse y voir un certain danger, de l'autre côté, tout semble beaucoup plus propice à l'épanouissement professionnel et personnel :
• Je pourrais utiliser ces deux ans à travailler et promouvoir mes propres projets, à un rythme qui me conviendra mieux que celui d'une école.
• Et, de fait, à développer les compétences pratiques dont j'ai réellement besoin, alors qu'un projet étudiant va m'emporter dans ce que je sais déjà faire. (Les "programmeurs par défaut" sauront de quoi je parle)
• Et rencontrer des gens avec qui échanger et travailler. (En restant étudiant aussi, certes. Mais soyons honnêtes, être inscrit à une école uniquement pour des contacts déjà accessibles de l'extérieur, c'est une idée tristement stupide)

Bref. j'ai démarré le concours de la filière développement de l'ENJMIN pour faire plaisir à tous ceux qui m'y ont poussé et retarder l'échéance du choix.
• Le constat positif : le sujet me semble relativement simple et je vois que l'ICAN nous a très bien préparés à ce genre d'exercice.
• Le constat négatif : il y a une lettre de motivation à fournir. Quelle motivation ? Ici j'ai réalisé à quel point c'était bête. Ça aurait ressemblé à ça :

Madame, Monsieur,

Je suis perturbé. Sortant d’un bachelor en Game Design à l’ICAN, j’ai peur que prolonger mes études soit totalement contre-productif. Toujours est-il que si dans les jours qui viennent je venais à me convaincre de l’inverse, ce serait avec grand plaisir que je m’orienterais naturellement vers l’ENJMIN.

Je continuerais volontiers cette lettre mais je viens de griller ma crédibilité rien qu'en me présentant. C'est dommage, on aurait pu faire de grandes choses ensemble. Allez, bisous !



J'ai conscience que tout ça peut sonner horriblement arrogant (et peut-être irréfléchi) de ma part mais c'est le fond de la pensée d'un paquet de gens aspirant à être "indépendants" (un terme passé de mode, qui ne veut plus dire grand chose, mais qui résume bien l'esprit). Et surtout, cet article est le fruit de grosses interrogations. "Est-ce que mon point de vue est vraiment valide ?"
Evidemment que je doute : je suis en train de refuser l'occasion unique de suivre une formation de qualité, dont les projets sortants sont excellents, dont les anciens élèves sont brillants (je parle en connaissance de cause, plusieurs ont été mes profs). Mais je suis parfaitement incapable de me dire que j'en retirerai quelque chose. Alors je passe mon temps à changer d'avis. Plusieurs fois par jour. "Je tente, je tente pas, je tente, je tente pas..."

Finalement je n'enverrai pas ce dossier d'inscription. Parce que toute cette panique a uniquement découlé de la pression que les "pro-master" m'ont mis sur le dos : je ne regretterai pas mon choix, mais en revanche si j'y étais allé je m'en serais probablement voulu. Mais tout ça aura eu le mérite de me faire grandement réfléchir à mon avenir, et me motiver à travailler sur plein de choses.

Je reste donc dans l'état d'esprit tout rose "FOLLOW YOUR DREAMS" et pour le moment c'est ce que je conseillerais sans hésiter à tous ceux qui en auraient la volonté et l'ambition. Ou plutôt je les orienterais vers leurs propres choix en faisant remarquer que personne n'est de bon conseil et qu'il y a ici une superbe occasion de le prouver.

Ceci dit, la question subsiste. Je sais qu'elle ne trouvera pas de conclusion catégorique mais elle gagnerait à être davantage discutée. Alors, faire ce qu'on veut, est-ce que c'est une utopie vouée à l'échec ?

mardi 17 mars 2015

Démonter une horloge biologique

"Ohlalalala je suis overbooké je n'ai de temps pour rien"

Le début du scénario d'une journée classique de beaucoup de monde.
En général, rapidement, ce fil de pensée devient :

"Ohlalalala le temps passe, la nuit tombe d'ici quelques heures et je vais devoir aller dormir"

Pour enfin se poser LA VRAIE question qui nous hante à chaque minute de notre vie :

"Ohlalalala mais qu'est-ce que je vais avoir le temps de faire d'ici là ?"

Ce qui nous amène à la notion d'emploi du temps, dans le sens le plus strict du terme.
"Comment est-ce que je peux employer mon temps ?"

Là, on peut se mettre à argumenter sur ce que représente vraiment une journée, combien de temps elle dure vraiment selon nous, et partir dans ce genre de tergiversations métaphysiques qui consistent à jouer sur les mots simples et en sortir des compliqués pour se donner une crédibilité.
Mais ça n'est pas complètement stupide, parce qu'en fonction de notre résistance à la fatigue, et de quelques autres facteurs douteux impliquant de la caféine et de la taurine en quantités massives, notre fenêtre temporelle est de taille variable.

Tout le monde n'a pas la même notion du temps, ni la même productivité. Ce serait pratique de trouver une mesure qui soit pertinente pour chacun.

Et là, sudden realization : un laps de temps donné, c'est un nombre maximum de contractions musculaires que l'on peut faire avant de devoir céder à la fatigue. Ou à la mort, sur le terme de quelques décennies.

C'est mon doigt qui frappe sur une touche de clavier pour envoyer un message quelconque, ma jambe qui me porte du point A au point B, ou tout simplement mon organisme qui grille mes réserves de glucose pendant que j'essaye de mener une réflexion simple.

Les micro-inputs corporels, c'est une ressource, donc c'est une économie :

• Les mécaniques fondamentales de risk and reward s'appliquent. En gros, je peux courir plus vite pour gagner du temps et réduire les risques de rater mon train, mais je serai épuisé, et l'instant présent ( = la journée) perd probablement en durée de vie.

J'y vois énormément de potentiel pour un hard mode de QWOP.

Le facteur humain s'ajoute à cette analogie, jusqu'à pouvoir évaluer la pertinence d'un investissement (ou d'un non-investissement) :

• Creusons ce système à l'extrême : prenons un kikoolol basique, inapte à parler dans un français correct. (oui ok j'utilise des termes périmés depuis 2005 et c'est un crime, passons)
Est-ce qu'il gagne vraiment du temps en épargnant une lettre sur deux ? Fondamentalement oui, mais la perte de crédibilité qui en résulte peut le rendre inefficient dans certains cadres. Exemple cliché : si j'ai l'air stupide, je n'aurai pas le travail que je veux et je ne serai pas en mesure d'augmenter mon niveau de vie. On peut alors dire que mes inputs auront été mal investis.

Alors dans tout ça, que représente la notion de "minute" ou d'"heure" ?

> Ce sont uniquement des repères de plus grande échelle pour qu'on puisse comprendre de quoi on parle et avoir un repère absolu, un peu comme on se sert des moles pour compter les atomes.
Plus précisément, mieux vaut comparer ici "une minute" et "un gramme" : parce que différents matériaux ont différentes masses molaires, et différents individus sont capables de réaliser un nombre d'actions différent par minute.

Aussi rageant soit ce brave monsieur, il constitue une illustration explicite de mes propos, et aussi une bonne raison de taper dans vos mains tout seul devant votre écran.


En attendant, ironiquement, réfléchir à ça m'aura pris du temps. (forcément)
Alors, productivité ou contre-sens total ?

dimanche 22 février 2015

Le jeu de mes rêves : littéralement

EH, J'AI FAIT UN RÊVE




... Ok ça n'a rien de profondément excitant. Enfin si, plus ou moins. Pour moi c'est très inhabituel. Il y a des gens qui se souviennent systématiquement de leurs rêves avec un énorme niveau de détail ; dans mon cas c'est vraiment rare, c'est un phénomène qui survient au maximum trois ou quatre fois par an. Ou bien ce sont des rêves "bizarres".

Dans la catégorie des rêves "bizarres" je range tout ce qui interroge d'une façon ou d'une autre le concept même de rêve. C'est plutôt à ça que je suis abonné, et comme j'aime bien tout ce qui tape dans le quatrième mur, je ne m'en plains pas (ou presque) :
• Les rêves lucides.
• Les rêves imbriqués.
• Les rêves de rêves lucides. (combo)

Et aussi les moins agréables :
• Cauchemars lucides : "je dois continuer à souffrir et/ou étouffer jusqu'à la fin de la nuit"
• Rêves impliquant la prise de conscience de notre corps inanimé.
=> Ou, de façon plus directe et bourrine, paralysie du sommeil.
• Rêver ses problèmes de la vraie vie, sous forme de cauchemar (et, au réveil, se dire "ouf, c'était juste un... ah en fait non")
Rêver un screamer. Ce dernier point m'a toujours fait délirer sur le plan théorique, parce qu'il paraît totalement inconcevable que quelque chose sorti de notre cerveau puisse éveiller un sentiment de surprise et d'imprévu à l'échelle de la vraie vie. Parce qu'au final, le moment où tout s'interrompt pour exploser visuellement et auditivement, on le subit bel et bien après le réveil (plus précisément, dans la fraction de seconde qui suit). Mais ça existe bel et bien, et j'aurais d'ailleurs été ravi de ne jamais le découvrir.

Bref, pendant la nuit ça n'est pas forcément une partie de plaisir, mais ce sont des structures narratives géniales, et les expériences associées valent vraiment la peine d'être analysées.

Les rêves, ce sont un peu comme des jeux : la comparaison est pertinente sur pas mal de plans différents.
• On a plus ou moins de contrôle dessus.
• L'environnement matériel peut être hostile, ou non.
• L'environnement visuel et auditif peut être calme, hypnotique, statique, entêtant, vide...
• Bref, les rêves ont une direction artistique bien définie. (bien que souvent chaotique)
• L'univers du rêve peut obéir à des mécaniques précises.
• Et pourtant, la mise en relation de certains éléments du rêve est parfois totalement absurde.

Et quand un tel niveau d'absurde est présent et totalement assumé dans une oeuvre, en général, c'est une réussite.

D'ailleurs cette démarche n'est pas si originale : à ce moment-là il est déjà difficile de ne pas penser à LSD : Dream Emulator. Ce jeu est super intéressant et a justement été décortiqué par Twin Picks il y a peu, dans une optique un poil différente. Bref, cette dimension absurde et chaotique du rêve peut également se retrouver ingame.

En fait, pour pousser à fond le parallèle avec les jeux, on peut se rendre compte que les rêves ont leurs propres 3C : "Camera, Control, Character". C'est-à-dire qu'on peut en analyser le point de vue comme pour un jeu :
• Qu'est-ce que j'incarne ?
• Qu'est-ce que je peux faire ?
• Par quels moyens ?
• Comment est-ce que je vois l'action ?
Par exemple, cette nuit, c'était une île, un paysage ouvert, assez accueillant, et pourtant j'avais un champ de vision très réduit, et me déplacer constituait toujours un gros effort physique : il fallait nager, escalader...
En plus, pour pousser encore le cliché du gameplay typique, je devais "débloquer" certains mouvements ; par exemple je pouvais m'envoler, à condition d'avoir d'abord lapidé un dragon de Komodo avec des cailloux sortis de mon portefeuille. (...don't ask, c'est un rêve)

Alors est-ce que je peux produire mon rêve comme si c'était un jeu ?


=> OUI


Tout d'abord, il devient beaucoup plus facile de le définir et le rendre appréhensible quand on utilise les mêmes procédés créatifs de base que pour une oeuvre "habituelle". C'est-à-dire, récolter des références graphiques, sonores, (et même "mécaniques") qui délimitent un cadre à l'action.

Chez moi, ça donnait ça :


Pharos (Ragnarök Online) : géographie, topologie, structure
,
Journey : colorimétrie, lighting

On a une direction artistique, on a des mécaniques. Ça prend forme ! Mais un rêve détaillé, c'est aussi une storyline bien claire, qui a eu un fort impact sur l'ambiance globale. En production, c'est plus délicat, parce qu'on ne peut pas se jeter sur un scénario et l'adopter comme ça, il doit coller avec tout le reste. Mais on peut toujours en tirer des informations sur le fonctionnement de notre univers.

Tout événement survenu au cours du rêve, et qui est cohérent avec cet univers, trouverait sa place dans le gameplay et la narration qui vont en découler.

Et enfin, l'aubaine, c'est quand notre souvenir spatial est vraiment, vraiment détaillé.
J'ai rêvé un level design et c'est pour ça que je suis complètement hypé : si seulement j'avais trois jours libres devant moi je pourrais prendre n'importe quel map editor en 3D et lui redonner vie tout de suite.
Puis, avec l'aide de la démarche un peu plus rationnelle et classique du "je trouve des références viables", je récupérerais le niveau de détail que mon inconscient avait bricolé cette nuit. L'ambiance commencerait à être reconnaissable, puis les mécaniques qui font tourner ce monde-là, puis le feeling global... Alors il sera possible de le décliner et l'étendre.

Alors évidemment, ça ne marche pas avec tout (par exemple, on ne pourra pas modéliser les relations et sentiments humains), mais... une Dream Game Jam, ça pourrait...

...vendre du rêve.

YEAAAAAAAAAAH


dimanche 15 février 2015

C'est promis, je vais laisser Shenron et Schrödinger tranquilles

En fait, deux jours plus tard, j'ai envie de revenir sur le problème de la dernière fois. J'ai pris beaucoup de raccourcis, la question n'a pas été examinée dans sa globalité et il y a encore énormément de trucs intéressants à en tirer.

Rappel des faits : pour une raison X, je choisis de tuer un ami à moi, puis d'aller chercher les Dragon Balls pour le ressusciter, et le re-tuer, et le re-ramener à la vie, jusqu'à tomber à court de voeux.
=> Question : étant donné une configuration imaginaire où j'ai un nombre de voeux infini, est-ce qu'à la fin mon ami est mort ou vivant ?

Le problème rappelle celui du chat de Schrödinger : une mise en place très farfelue et peu réaliste, à l'issue de laquelle rien ne peut indiquer si notre sujet est en vie ou non

Mais il y a une petite divergence par rapport à la question d'Erwin. Ici, on peut essayer de quantifier la solution (via l'usage d'une suite mathématique qui aura elle aussi fait couler un peu d'encre). Et là, on aboutit à une conclusion qui penche effectivement vers l'un ou l'autre des deux résultats, mais pas totalement.

Un premier éclaircissement : pourquoi "75% mort" est un gros abus de langage


Partant du principe que -1 représente la mort et +1 la vie, à ce moment-là j'ai dit "le sujet est aux trois-quarts mort" parce que la suite tend vers -0.5.
SAUF QUE, ici on parle d'un truc binaire et discrétisé. Dans le monde que l'on connaît, en général, tu es soit vivant, soit mort. Il n'existe pas de "blending" entre les deux états, donc cette phrase n'a aucun sens.

Élément important #1 : tout comme avec l'expérience du chat, la seule chose qu'on peut en déduire est que les deux états "coexistent" tant qu'on est pas fixé sur notre dernière action (le meurtre ou le voeu), c'est-à-dire tant qu'il nous reste des voeux infinis. C'est différent d'un "entre-deux".

Élément important #2 : ce résultat de "75%". Il montre une prédominance d'un état ou de l'autre, et c'est à ce moment-là qu'on s'éloigne un peu du cas de Schrödinger. Le plus logique semble de simplement l'interpréter comme une probabilité de se retrouver avec telle ou telle situation finale.

Donc, dans mon cas, si je procède à cette expérience sur un sujet que je tue puis que je ressuscite à répétition, je peux avancer que plus je poursuis le process, plus je tends vers un cas où j'ai trois fois plus de chances de le retrouver mort.

Impact des événements extérieurs : l'effet papillon


J'ai trouvé ce résultat de -0.5 parce que "je le tue, puis je le ramène à la vie, puis je le retue, etc". La suite en question vaut donc S = -1+1-1+1... donc, alternativement, S = -1 ou S = 0.
Et si j'avais pris un sujet déjà mort ? C'est-à-dire que je n'ai pas besoin de le tuer pour commencer l'expérience. Je commence par le ramener à la vie. S = 1-1+1-1... Alternativement, S = 1 ou S = 0.

Quand je prends un sujet qui est déjà mort initialement, par une cause extérieure, ma suite tend vers 0.5 et non -0.5. J'ai ici trois fois plus de chances de terminer avec un sujet vivant que mort.

Les résultats ont été totalement chamboulés par nos conditions initiales. On se rend compte que s'il fallait faire cette expérience sur une large population, ou plutôt sur deux larges populations A et B, pour avoir un point de comparaison. La population A, ceux déjà morts, finirait trois fois plus nombreuse que la population B (ceux initialement vivants).

Alors ce point est délicat, parce qu'il est difficile de voir ce qui nous pousse à compter ou non la première mort dans le calcul. On pourrait même trouver légitime de tenir compte de la naissance du sujet avant qu'il ne meure pour la première fois, et donc systématiquement commencer notre suite par un +1.
À la fin, on peut aussi penser que dans l'absolu, il serait logique de réaliser les deux expériences et en faire une moyenne. Auquel cas, on retombe sur 0 et on affirme qu'il est simplement impossible de se décider entre les deux conclusions possibles. (comme cela semblait logiquement être le cas)

Bref, cette expérience a de moins en moins de légitimité et ses points noirs sont nombreux. Mais elle aura le mérite de nous faire réaliser à quel point un petit événement initial (en l'occurrence, une naissance ou une mort) peut faire basculer le cours des choses.

"Avec des si, on peut tout faire... à commencer par couper des arbres"

L'effet papillon, c'est une réalité : parmi tous les gens renversés par une voiture ces cinquante dernières années, certains auraient probablement, par exemple, accédé à une carrière politique brillante et changé le monde d'aujourd'hui. Et quand on regarde en arrière de gros morceaux de notre vie, et qu'on remonte toute la chaîne de causalité qui est derrière, on peut souvent se rendre compte que tout est parti d'un détail stupide et anodin.

À l'inverse, on peut aussi imaginer l'impact futur d'une action qu'on hésite à accomplir ; et ça, la première saison du Visiteur du Futur l'a très bien fait avec sa punchline "VOILÀ CE QUI VA SE PASSER".

Enfin, on peut considérer qu'il existe une infinité d'univers parallèles dans lesquels ces "what ifs" se sont réalisés : ce sont les uchronies qui sont souvent très intéressantes à examiner jusqu'au bout. Des oeuvres comme Steins;Gate ou Le Maître du Haut-Château sont même allées pousser le concept de façon assumée en mentionnant l'effet papillon et/ou l'existence d'uchronies au sein même de la fiction.

Normalement le propre de ces univers est de ne jamais être connectés, excepté par leur passé commun. On ne pourrait donc hypothétiquement passer de l'un à l'autre qu'en voyageant dans le passé, comme pour prendre notre élan, et en commettant ensuite les actions qui changent le monde de sorte à nous faire arriver sur la branche correspondante : ceci implique qu'à chaque fraction de seconde, une infinité d'actions séparent chacune l'univers en plusieurs branches parallèles.

"La Porte" de FullMetal Alchemist déroge à cette règle. Dans la première série animée, elle connecte l'univers de la fiction à notre réalité (celle de la 1re Guerre Mondiale), correspond à l'aveu d'une uchronie, et est donc une sorte de matérialisation du quatrième mur.

Bref, cette porte est intéressante mais nous embête, on va oublier son cas. Du coup, à part ça, dans cette vision des choses, le temps est un arbre, le tronc est un passé qui tend à être unique au fur et à mesure qu'il s'éloigne, et les branches représentent de multiples futurs possibles, qui vont finalement tous exister simultanément. Mon jeu de mots pourri commence à gagner en profondeur et être beaucoup plus pertinent que tout à l'heure

Je pense aussi que chez les personnes extrêmement exigeantes avec elles-mêmes et/ou dépressives, le regret dû à une erreur commise dans la vie est lié à cette vision des choses : on a l'impression de s'être emprisonné dans la mauvaise branche. Et plus le temps passe, plus la branche du "what if" auquel on aspirait est éloignée. Ces personnes se sentent dériver, et à partir du moment où l'on en prend conscience on ne voit plus que ça. D'ailleurs, le fait que vous veniez de lire ceci a peut-être éveillé cette idée en vous de façon irréversible. En d'autres termes :

Je l'ai déjà dit le mois dernier, inutile de me remercier voyons



Il y a un autre article qui explicite bien cette théorie des branches, et vu d'où il sort, sa pertinence m'étonne, mais il y a moyen d'en extrapoler pas mal d'éléments sympas.

Enfin, si j'ai toujours des voeux infinis pour ressusciter mes potes de l'expérience précédente, il y aura sur cet arbre trois fois plus de branches sur lesquelles ils sont vivants que morts, à moins que je ne les tue moi-même au préalable, auquel cas ce sera l'inverse. Ou plutôt, plus on s'éloignera du tronc, plus on aura de facilité à constater que mes amis sont vivants sur les trois quarts des branches.

Sur ce, je m'arrête ici, je crois que la question a été traitée sous tous ses aspects. Il y a toujours moyen d'imaginer un esprit tordu qui dira "je fais le voeu d'être apte à tuer une personne déjà morte" pour faire tendre notre suite vers -1.5, mais... tous les Dolipranes du monde ne suffiront pas.

vendredi 13 février 2015

Futilité complète du soir : "mourir à 75%"


Il faut encourager les débats sur tout ce qui n'a aucun sens. Je demeure persuadé que c'est en décortiquant des absurdités totales qu'on peut partir sur des choses incroyablement intéressantes sans même le soupçonner.
Je m'interdis toujours d'écrire la moindre nouvelle sans avoir fini de lire l'essai de Campbell, mais je trouve constamment des sources d'inspiration pareilles et c'est toujours un plaisir.

Hier, un ami m'a fait une déclaration magnifique et inoubliable. Bon, c'était une simple idée sortie au détour d'une conversation anodine, mais sur le moment il n'a pas forcément pris conscience d'à quel point c'était une mine d'or :

• Imaginons, pour une raison ou pour une autre, tu en veux à un ami à toi. Tu le tues.
• Puis, comme c'est ton ami, tu vas chercher les Dragon Balls pour le ressusciter.
• ...Et le retuer. Parce qu'il te reste quand même deux voeux, alors tu peux recommencer un peu.
• Et à la fin, selon ton humeur, tu le laisses vivant ou mort. Disons vivant, parce que c'est ton ami.
#bromance

SÉRIEUSEMENT. VOUS TROUVEZ PAS CETTE IDÉE FURIEUSEMENT GÉNIALE ?

Il y a un potentiel énorme là-dedans. Et si on généralisait le truc ?

Problème du soir : Etant donné un univers parallèle avec des Dragon Balls infinies, plusieurs Shenron, et un nombre de voeux infini, est-ce qu'à la fin mon pote est vivant ou mort ?

En fait, c'est une version un peu plus attirante et mathématique du problème du chat de Schrödinger.

• Plus attirante, parce qu'il y a la référence culturelle dessus, et aussi parce qu'on parle de tuer un mec à répétition, et que la violence, c'est rigolol.
• Plus mathématique, parce que tout ça reprend exactement le problème de la suite de Grandi, sur lequel je m'étais déjà arraché les cheveux étant gamin, c'est-à-dire déterminer combien font 1-1+1-1+1-1+1-1+1...

Et si on part sur cette piste-là plutôt que sur celle de la physique quantique (parce que ça n'est pas donné à tout le monde, et encore moins à 1h du matin), on obtient quelque chose d'intrigant aussi.
• Je tue mon copain : -1
• Je ressuscite mon copain : +1
Et en général, on considère que cette suite "devrait" tendre vers 0.5. Sauf qu'ici, je commence par tuer mon pote, pas par le ressusciter. Donc on ne cherche pas à résoudre 1-1+1-1... mais -1+1-1+1... et l'on va tendre vers -0.5.

Alors, si -1 signifie "mort" et +1 "vivant", dans quel état vais-je le mettre si j'ai des voeux infinis ? Il sera... aux trois-quarts mort ? Uh, ça n'est pas très engageant en fin de compte. En fait, ça ne veut même rien dire. Ça n'est qu'un chiffre. Mais c'est une perspective un peu horrible, et ça peut faire penser à un zombie. Et ça nous fait repenser le concept d'amitié aussi, et la soi-disant noblesse de l'acte de ressusciter son ami
"Je tiens à toi alors je ne te laisse pour mort qu'à 75%."

75%. Ça ne tend même pas vers 0 histoire de faire moitié-moitié ! Le point de vue quantique est carrément moins pessimiste sur ce coup.

Conclusion de cette histoire : ERWIN SCHRÖDINGER ÉTAIT UN BISOUNOURS IDÉALISTE.


J'espère ne jamais oublier ce raisonnement parce qu'il est totalement exploitable (et perfectible) et détournable dans un tas de contextes différents. Enfin je ne risque pas, c'est précisément pour ça que j'en ai pris note.

mercredi 14 janvier 2015

Level Up !

J'ai démarré mon vingtième carnet aujourd'hui ! \o/

...Ok ça n'est pas forcément très parlant. Voilà :



Pas mal de monde fait ça me semble-t-il. Aussi, je suis très attaché au fait d'avoir systématiquement le même carnet A7 qui tient dans une poche, toujours bien daté et noté. Le côté psychorigide qui ressort un peu.

Il y a un certain nombre de points positifs à ça :
• Ils sont pas chers.
• On note tout ce qu'on veut quand on veut.
• On peut dessiner !
• Voire même faire des origami. Ou des schémas 3D. C'est dommage de se limiter à la fonction "réceptacle à encre" alors qu'il y a tellement de choses à faire avec une feuille de papier.
• On se souvient systématiquement de ce qu'il y a dans chaque carnet. Parfois je fouille dans mon n°13 pour y retrouver mon voyage à Londres, ou dans le n°7 pour un conseil utile.
• On peut se la péter en répétant sans cesse qu'on a toujours un carnet sur soi et qu'on en est au vingtième, et se sentir stupidement fort pour aucune raison valable.

• Et surtout, c'est une capsule temporelle d'une énorme qualité. Parce que je sais que je le relirai tôt ou tard et que mon "moi du passé" aura toujours des trucs à m'apprendre. Paradoxalement pour anticiper ça il faut avoir une estime de soi à la fois très haute et très basse pour penser qu'on aura des leçons à prendre d'un gamin, mais qu'à l'inverse, quand on est ce gamin, on a malgré tout assez de trucs pertinents à dire.

Bref. Maintenant dans la vie je considère que "je suis level 20".
C'est le même principe que certaines personnes qui bossent dans le développement de jeux vidéo, et qui cherchent à styliser leur CV, et lui donnent une apparence de fiche de stats comme dans l'interface d'un RPG ; alors, comme ils ont le soin du détail, ils s'indiquent un niveau, qui correspond à leur âge.
En fin de compte, faire le parallèle entre nous-mêmes et un personnage de RPG, même de façon inconsciente, c'est une chose courante : on pense à nos compétences, aux endroits qu'on a visité, aux gens qu'on rencontre, etc.

Et même si ça peut paraître un peu enfantin, ça n'est pas totalement idiot quand on tient beaucoup à s'auto-évaluer, et à garder une trace du déroulement précis de notre vie. Selon cette logique, on pourrait même tenir un registre de toutes les personnes qu'on a rencontrées, à quelle date, avec qui, si elles sont restées dans notre vie ou non...

Je pense que c'est même une pratique courante chez les gens à caractère overachiever. Parce que quand on refuse l'idée d'être (même un tout petit peu) déficient dans un ou plusieurs domaines (ou, pour la plupart des gens concernés, partout), on est très souvent amenés à poser sur soi-même ce regard critique très sévère que les autres n'ont pas. Sauf les gens dangereux, mais ça c'est autre chose.

Toujours est-il que je ne mesure pas mon "niveau d'expérience de la vie" avec mon âge mais avec mes carnets, parce que je trouve ce critère-là bien plus intéressant. Tu peux rater ta vie pendant trois ans et stagner sur tous les plans, tout comme tu peux vivre énormément de choses en un laps de temps très réduit, des choses qui t'auront poussé à réfléchir ou noter un tas d'idées, dont certaines que tu exploiteras sûrement plus tard.

C'est une sorte de gamification de la vie poussée à l'extrême. Mais j'aime bien cette idée, alors que des concepts comme HabitRPG me font carrément peur. En fait ici le terme de gamification est mal choisi. Ce qui me plairait, ça n'est pas la perspective de modeler ma vie à l'image de game mechanics (ce serait triste quand même), mais justement d'utiliser des situations réelles comme référence pour aboutir à des jeux originaux. Observer puis quantifier tout ce qu'on a sous la main, et créer un design à partir de ça, et non l'inverse.

Pour ça, la comparaison entre une équipe de développement d'un jeu et une team de raid sur WoW m'a toujours frappé.
• Les game designers qui vont vers les problèmes en amont = les tanks.
• Les chefs de projet qui permettent à tout le monde d'avancer plus vite sans trop de pression  = les supports.
• Les graphistes et les développeurs qui attaquent la production et font concrètement avancer la situation = les DPS et les mages.
(Et avec la possibilité de cumuler des jobs et plus ou moins se spécialiser, cette métaphore pourrait partir TELLEMENT LOIN même le temps d'une simple jam)

Voilà, peut-être que je passe pour un con avec mes 20 carnets A7, mais ils m'auront fait m'ouvrir à un concept d'antigamification. (Il doit exister un mot plus élégant et parlant pour ça, mais pas dans ce qu'il reste de mon vocabulaire à 1h du matin.)


Bref, je les aime ces petits.

jeudi 8 janvier 2015

Dissections : les pensées, les objets, tout

La date de parution de cet article prouve encore mon incapacité totale à faire quelque chose avec régularité et assiduité. C'était tellement prévisible que je ne m'en veux pas. :')

Aujourd'hui, comme souvent, je me dis que l'être humain, son corps, plus précisément son cerveau, c'est une machine assez bizarre. Une machine au fonctionnement difficile à appréhender, assez imprévisible, et qui peine à mettre tout le monde d'accord. Évidemment quand je dis machine humaine, je ne parle pas ici du point de vue biologique et médical, mais de notre mode de pensée, la réflexion, la logique, les émotions, les sentiments, l'intuition... Bref, tout ce qui n'est pas (ou trop peu ?) physiquement palpable, et sur quoi un grand nombre de psychologues, et surtout de psychiatres incompétents émérites, vont encore se casser les dents pendant bien longtemps.

Et pour certaines personnes, il y a ces moments de micro-introspection inconsciente, où l'on s'observe avec un certain détachement, et où l'on commence à analyser tous nos faits et gestes. Et là, potentiellement, la vie devient carrément plus fun.

Rien qu'au niveau somatique, ça donne ça :

• Prendre conscience qu'on est en train de produire de la salive.
• Que nos orteils se touchent.
• Que notre mâchoire a un poids.
• Que notre nez se trouve dans notre champ de vision.

Je viens de détruire votre journée ? Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.

Mais ça, ça n'est pas le layer de conscience le plus intéressant. Au niveau d'en-dessous, on se rend compte de notre processus de réflexion, et on commence à mettre notre cerveau en abyme :

• "Je suis en train de réfléchir"
• "Tiens, penser à telle chose a provoqué telle association d'idées"
• "C'est fou, le temps moyen d'une pensée est inférieur à 1µs, je pourrais partir si loin en une minute"
• "Et là je suis en train de penser que je pense que je pense"
• "Et là aussi."
• "Woah, les propositions logiques s'enchaînent tellement vite que j'ai déjà atteint quatre niveaux d'abstraction"
• "Et comme j'ai commencé à les compter, c'est comme si ma réflexion changeait de dimension, non ?"

(Ceux qui ont déjà connu cette situation la trouveront beaucoup trop fréquente à leur goût)

Et encore, ça c'est un process linéaire, mais il paraît qu'un quart de la population fait ça de façon arborescente sans problème et maintient plusieurs réflexions simultanées. Souvent c'est très avantageux, tout comme parfois ça peut leur faire mener une vie sacrément pourrie. Ahahah pauvres de nous
(Je prends le chiffre avec des pincettes. Fin 2010 est sorti un fameux bouquin de vulgarisation psychologique qui a bien explicité ça, ainsi qu'un tas d'autres sujets qui font que 66% de ce livre valent vraiment la peine d'être lus.)


Donc, ok, on réalise que l'on traite de l'information. Que l'on analyse des trucs. Mais à quoi tout ça nous avance ?
=> Être capable de s'observer penser, c'est avoir l'opportunité de voir comment on pense.

Il y a des méthodes d'approche différentes pour traiter une information, comprendre une situation et en déduire des choses. Et là, on retombe sur des méthodologies utilisées en programmation : coder, c'est (parfois) modéliser une situation, avec des objets en présence qui doivent interagir ensemble, et comme le monde entier doit être créé à la main, il ne faut rien laisser au hasard.

La métaphore est pompeuse, mais...


Ça veut dire qu'on est amenés à tout décortiquer dans les moindres détails, jusqu'à ce que chaque entité, chaque objet, puisse être ramené à une série de paramètres qui se résument à des valeurs très simples, comme des nombres, ou des mots, ou des couleurs... C'est le modèle objet, (la programmation orientée objet, ou POO), et c'est pratique. Mais c'est chiant. Personne ne fait ça dans la vraie vie. Le cerveau humain ne fait pas cette décomposition systématiquement, sinon tout le monde deviendrait complètement fou.
C'est pour ça qu'être développeur, c'est un travail. Un travail potentiellement enrichissant voire passionnant, certes, mais la POO ça ne nous aide pas à comprendre l'ouverture facile de notre paquet de céréales le matin.

Alors il faut qu'on aille vers un autre modèle de pensée, plus généraliste. On va quitter la philosophie "objet", et aller vers la philosophie "composant".

Notre cheminement pour comprendre les choses, c'est de décomposer les objets pour pouvoir les définir. Et nous, instinctivement, quand on décompose, on ne cherche pas des paramètres auxquels donner une valeur, on cherche des attributs précis aux choses que l'on analyse. On aime pouvoir se dire que les choses complexes sont un assemblage de choses simples. Par exemple, cela explique le gros succès médiatique du projet Phonebloks, le smartphone en kit :

Tout s'enlève, tout se remplace, tout est modulable de façon indépendante, et la vie est belle


En revanche, un an après j'avoue ne toujours pas comprendre pourquoi les gens se sont dits "surpris" à l'annonce d'objets composites. Le monde s'est exclamé que c'était une idée révolutionnaire qui ne rappelait rien d'existant, alors que, well... n'importe quel cerveau fait ça de chaque objet à chaque instant. Ensuite, je conçois que pouvoir enfin manipuler physiquement ce qu'on a en tête depuis des années est quelque chose d'ultra jouissif. Mais tous les objets de la vie quotidienne (même les plus simples) devraient marcher comme ça depuis plusieurs années. Bon, heureusement, c'est en marche.

Le développement de jeux fait ça aussi, des moteurs comme Unity fonctionnent avant tout en simplifiant les choses avec des "composants" : c'est-à-dire, "je pose tel script sur tel objet, et j'en enlève un autre".
On remarque que quand on raisonne comme ça, toutes les entités autour de nous sont en fait des coquilles vides identiques, prêtes à devenir ce qu'on décide d'y mettre. D'ailleurs dans Unity, cette coquille vide s'appelle le GameObject, c'est un nom très vague, et pour cause, ça peut être amené à désigner tout et n'importe quoi.

Ce truc que j'appelle la "pensée composite", j'y tiens beaucoup parce que ça fonctionne réellement avec absolument n'importe quoi. C'est comme si n'importe quel objet -voire n'importe quelle personne- sortait tout juste de chez Ikea et qu'on l'examinait pour voir ce qu'on peut y ajouter ou en retirer.

En fait, c'est même cette petite showerthought insignifiante qui m'a rappelé tout ça : et si les gens étaient réellement composites ? Et si c'étaient des aléas matériels qui définissaient le fait qu'une personne a été "assemblée" avec certaines qualités ou défauts ? Le respect, la gentillesse, le charisme, l'éthique, l'hygiène, la condition physique, la pilosité...

Ohwait, un film a failli traiter ce sujet. Il aurait juste fallu qu'arrivé à la moitié du scénario, Michael Bay ne se souvienne pas qu'il était Michael Bay et devait, à ce titre, faire du Michael Bay.

Alors, imaginons un instant un monde où la réponse basique à "comment on fait les bébés" est beaucoup plus technique et nécessite de construire au sens propre un être humain. Et si tu n'as pas certains prérequis, et que tu t'y prends mal (bad parenting), tu dois faire l'impasse sur certaines des qualités humaines de ton gamin.

• D'un côté c'est une métaphore assez directe et réaliste, parce que dans les faits la vie et l'éducation se déroulent précisément comme ça, mais sur plusieurs années et non quelques minutes. Ce genre de fiction pourrait être une version fast-forward de notre vie.
• Mais en même temps, ça a l'apparence (je dis bien l'apparence) d'une vision utopiste : si quelque chose ne va pas chez un être humain, on pourrait simplement "le remplacer, le réorganiser, et en faire une meilleure personne"... Ce qui, ceci étant dit, correspond à un point de vue simplement dénaturant et eugéniste. Pour l'utopie, on repassera.


Bref, une fois de plus je vais dire "Ohlala si seulement j'avais le temps d'écrire une nouvelle sur le sujet !" et retourner jouer à Pokémon.
Mais c'est terriblement tentant, et j'insiste sur le fait que n'importe quel autre concept existant devrait avoir un potentiel créatif énorme si on y appose la pensée composite.