jeudi 8 janvier 2015

Dissections : les pensées, les objets, tout

La date de parution de cet article prouve encore mon incapacité totale à faire quelque chose avec régularité et assiduité. C'était tellement prévisible que je ne m'en veux pas. :')

Aujourd'hui, comme souvent, je me dis que l'être humain, son corps, plus précisément son cerveau, c'est une machine assez bizarre. Une machine au fonctionnement difficile à appréhender, assez imprévisible, et qui peine à mettre tout le monde d'accord. Évidemment quand je dis machine humaine, je ne parle pas ici du point de vue biologique et médical, mais de notre mode de pensée, la réflexion, la logique, les émotions, les sentiments, l'intuition... Bref, tout ce qui n'est pas (ou trop peu ?) physiquement palpable, et sur quoi un grand nombre de psychologues, et surtout de psychiatres incompétents émérites, vont encore se casser les dents pendant bien longtemps.

Et pour certaines personnes, il y a ces moments de micro-introspection inconsciente, où l'on s'observe avec un certain détachement, et où l'on commence à analyser tous nos faits et gestes. Et là, potentiellement, la vie devient carrément plus fun.

Rien qu'au niveau somatique, ça donne ça :

• Prendre conscience qu'on est en train de produire de la salive.
• Que nos orteils se touchent.
• Que notre mâchoire a un poids.
• Que notre nez se trouve dans notre champ de vision.

Je viens de détruire votre journée ? Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.

Mais ça, ça n'est pas le layer de conscience le plus intéressant. Au niveau d'en-dessous, on se rend compte de notre processus de réflexion, et on commence à mettre notre cerveau en abyme :

• "Je suis en train de réfléchir"
• "Tiens, penser à telle chose a provoqué telle association d'idées"
• "C'est fou, le temps moyen d'une pensée est inférieur à 1µs, je pourrais partir si loin en une minute"
• "Et là je suis en train de penser que je pense que je pense"
• "Et là aussi."
• "Woah, les propositions logiques s'enchaînent tellement vite que j'ai déjà atteint quatre niveaux d'abstraction"
• "Et comme j'ai commencé à les compter, c'est comme si ma réflexion changeait de dimension, non ?"

(Ceux qui ont déjà connu cette situation la trouveront beaucoup trop fréquente à leur goût)

Et encore, ça c'est un process linéaire, mais il paraît qu'un quart de la population fait ça de façon arborescente sans problème et maintient plusieurs réflexions simultanées. Souvent c'est très avantageux, tout comme parfois ça peut leur faire mener une vie sacrément pourrie. Ahahah pauvres de nous
(Je prends le chiffre avec des pincettes. Fin 2010 est sorti un fameux bouquin de vulgarisation psychologique qui a bien explicité ça, ainsi qu'un tas d'autres sujets qui font que 66% de ce livre valent vraiment la peine d'être lus.)


Donc, ok, on réalise que l'on traite de l'information. Que l'on analyse des trucs. Mais à quoi tout ça nous avance ?
=> Être capable de s'observer penser, c'est avoir l'opportunité de voir comment on pense.

Il y a des méthodes d'approche différentes pour traiter une information, comprendre une situation et en déduire des choses. Et là, on retombe sur des méthodologies utilisées en programmation : coder, c'est (parfois) modéliser une situation, avec des objets en présence qui doivent interagir ensemble, et comme le monde entier doit être créé à la main, il ne faut rien laisser au hasard.

La métaphore est pompeuse, mais...


Ça veut dire qu'on est amenés à tout décortiquer dans les moindres détails, jusqu'à ce que chaque entité, chaque objet, puisse être ramené à une série de paramètres qui se résument à des valeurs très simples, comme des nombres, ou des mots, ou des couleurs... C'est le modèle objet, (la programmation orientée objet, ou POO), et c'est pratique. Mais c'est chiant. Personne ne fait ça dans la vraie vie. Le cerveau humain ne fait pas cette décomposition systématiquement, sinon tout le monde deviendrait complètement fou.
C'est pour ça qu'être développeur, c'est un travail. Un travail potentiellement enrichissant voire passionnant, certes, mais la POO ça ne nous aide pas à comprendre l'ouverture facile de notre paquet de céréales le matin.

Alors il faut qu'on aille vers un autre modèle de pensée, plus généraliste. On va quitter la philosophie "objet", et aller vers la philosophie "composant".

Notre cheminement pour comprendre les choses, c'est de décomposer les objets pour pouvoir les définir. Et nous, instinctivement, quand on décompose, on ne cherche pas des paramètres auxquels donner une valeur, on cherche des attributs précis aux choses que l'on analyse. On aime pouvoir se dire que les choses complexes sont un assemblage de choses simples. Par exemple, cela explique le gros succès médiatique du projet Phonebloks, le smartphone en kit :

Tout s'enlève, tout se remplace, tout est modulable de façon indépendante, et la vie est belle


En revanche, un an après j'avoue ne toujours pas comprendre pourquoi les gens se sont dits "surpris" à l'annonce d'objets composites. Le monde s'est exclamé que c'était une idée révolutionnaire qui ne rappelait rien d'existant, alors que, well... n'importe quel cerveau fait ça de chaque objet à chaque instant. Ensuite, je conçois que pouvoir enfin manipuler physiquement ce qu'on a en tête depuis des années est quelque chose d'ultra jouissif. Mais tous les objets de la vie quotidienne (même les plus simples) devraient marcher comme ça depuis plusieurs années. Bon, heureusement, c'est en marche.

Le développement de jeux fait ça aussi, des moteurs comme Unity fonctionnent avant tout en simplifiant les choses avec des "composants" : c'est-à-dire, "je pose tel script sur tel objet, et j'en enlève un autre".
On remarque que quand on raisonne comme ça, toutes les entités autour de nous sont en fait des coquilles vides identiques, prêtes à devenir ce qu'on décide d'y mettre. D'ailleurs dans Unity, cette coquille vide s'appelle le GameObject, c'est un nom très vague, et pour cause, ça peut être amené à désigner tout et n'importe quoi.

Ce truc que j'appelle la "pensée composite", j'y tiens beaucoup parce que ça fonctionne réellement avec absolument n'importe quoi. C'est comme si n'importe quel objet -voire n'importe quelle personne- sortait tout juste de chez Ikea et qu'on l'examinait pour voir ce qu'on peut y ajouter ou en retirer.

En fait, c'est même cette petite showerthought insignifiante qui m'a rappelé tout ça : et si les gens étaient réellement composites ? Et si c'étaient des aléas matériels qui définissaient le fait qu'une personne a été "assemblée" avec certaines qualités ou défauts ? Le respect, la gentillesse, le charisme, l'éthique, l'hygiène, la condition physique, la pilosité...

Ohwait, un film a failli traiter ce sujet. Il aurait juste fallu qu'arrivé à la moitié du scénario, Michael Bay ne se souvienne pas qu'il était Michael Bay et devait, à ce titre, faire du Michael Bay.

Alors, imaginons un instant un monde où la réponse basique à "comment on fait les bébés" est beaucoup plus technique et nécessite de construire au sens propre un être humain. Et si tu n'as pas certains prérequis, et que tu t'y prends mal (bad parenting), tu dois faire l'impasse sur certaines des qualités humaines de ton gamin.

• D'un côté c'est une métaphore assez directe et réaliste, parce que dans les faits la vie et l'éducation se déroulent précisément comme ça, mais sur plusieurs années et non quelques minutes. Ce genre de fiction pourrait être une version fast-forward de notre vie.
• Mais en même temps, ça a l'apparence (je dis bien l'apparence) d'une vision utopiste : si quelque chose ne va pas chez un être humain, on pourrait simplement "le remplacer, le réorganiser, et en faire une meilleure personne"... Ce qui, ceci étant dit, correspond à un point de vue simplement dénaturant et eugéniste. Pour l'utopie, on repassera.


Bref, une fois de plus je vais dire "Ohlala si seulement j'avais le temps d'écrire une nouvelle sur le sujet !" et retourner jouer à Pokémon.
Mais c'est terriblement tentant, et j'insiste sur le fait que n'importe quel autre concept existant devrait avoir un potentiel créatif énorme si on y appose la pensée composite.

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