dimanche 22 février 2015

Le jeu de mes rêves : littéralement

EH, J'AI FAIT UN RÊVE




... Ok ça n'a rien de profondément excitant. Enfin si, plus ou moins. Pour moi c'est très inhabituel. Il y a des gens qui se souviennent systématiquement de leurs rêves avec un énorme niveau de détail ; dans mon cas c'est vraiment rare, c'est un phénomène qui survient au maximum trois ou quatre fois par an. Ou bien ce sont des rêves "bizarres".

Dans la catégorie des rêves "bizarres" je range tout ce qui interroge d'une façon ou d'une autre le concept même de rêve. C'est plutôt à ça que je suis abonné, et comme j'aime bien tout ce qui tape dans le quatrième mur, je ne m'en plains pas (ou presque) :
• Les rêves lucides.
• Les rêves imbriqués.
• Les rêves de rêves lucides. (combo)

Et aussi les moins agréables :
• Cauchemars lucides : "je dois continuer à souffrir et/ou étouffer jusqu'à la fin de la nuit"
• Rêves impliquant la prise de conscience de notre corps inanimé.
=> Ou, de façon plus directe et bourrine, paralysie du sommeil.
• Rêver ses problèmes de la vraie vie, sous forme de cauchemar (et, au réveil, se dire "ouf, c'était juste un... ah en fait non")
Rêver un screamer. Ce dernier point m'a toujours fait délirer sur le plan théorique, parce qu'il paraît totalement inconcevable que quelque chose sorti de notre cerveau puisse éveiller un sentiment de surprise et d'imprévu à l'échelle de la vraie vie. Parce qu'au final, le moment où tout s'interrompt pour exploser visuellement et auditivement, on le subit bel et bien après le réveil (plus précisément, dans la fraction de seconde qui suit). Mais ça existe bel et bien, et j'aurais d'ailleurs été ravi de ne jamais le découvrir.

Bref, pendant la nuit ça n'est pas forcément une partie de plaisir, mais ce sont des structures narratives géniales, et les expériences associées valent vraiment la peine d'être analysées.

Les rêves, ce sont un peu comme des jeux : la comparaison est pertinente sur pas mal de plans différents.
• On a plus ou moins de contrôle dessus.
• L'environnement matériel peut être hostile, ou non.
• L'environnement visuel et auditif peut être calme, hypnotique, statique, entêtant, vide...
• Bref, les rêves ont une direction artistique bien définie. (bien que souvent chaotique)
• L'univers du rêve peut obéir à des mécaniques précises.
• Et pourtant, la mise en relation de certains éléments du rêve est parfois totalement absurde.

Et quand un tel niveau d'absurde est présent et totalement assumé dans une oeuvre, en général, c'est une réussite.

D'ailleurs cette démarche n'est pas si originale : à ce moment-là il est déjà difficile de ne pas penser à LSD : Dream Emulator. Ce jeu est super intéressant et a justement été décortiqué par Twin Picks il y a peu, dans une optique un poil différente. Bref, cette dimension absurde et chaotique du rêve peut également se retrouver ingame.

En fait, pour pousser à fond le parallèle avec les jeux, on peut se rendre compte que les rêves ont leurs propres 3C : "Camera, Control, Character". C'est-à-dire qu'on peut en analyser le point de vue comme pour un jeu :
• Qu'est-ce que j'incarne ?
• Qu'est-ce que je peux faire ?
• Par quels moyens ?
• Comment est-ce que je vois l'action ?
Par exemple, cette nuit, c'était une île, un paysage ouvert, assez accueillant, et pourtant j'avais un champ de vision très réduit, et me déplacer constituait toujours un gros effort physique : il fallait nager, escalader...
En plus, pour pousser encore le cliché du gameplay typique, je devais "débloquer" certains mouvements ; par exemple je pouvais m'envoler, à condition d'avoir d'abord lapidé un dragon de Komodo avec des cailloux sortis de mon portefeuille. (...don't ask, c'est un rêve)

Alors est-ce que je peux produire mon rêve comme si c'était un jeu ?


=> OUI


Tout d'abord, il devient beaucoup plus facile de le définir et le rendre appréhensible quand on utilise les mêmes procédés créatifs de base que pour une oeuvre "habituelle". C'est-à-dire, récolter des références graphiques, sonores, (et même "mécaniques") qui délimitent un cadre à l'action.

Chez moi, ça donnait ça :


Pharos (Ragnarök Online) : géographie, topologie, structure
,
Journey : colorimétrie, lighting

On a une direction artistique, on a des mécaniques. Ça prend forme ! Mais un rêve détaillé, c'est aussi une storyline bien claire, qui a eu un fort impact sur l'ambiance globale. En production, c'est plus délicat, parce qu'on ne peut pas se jeter sur un scénario et l'adopter comme ça, il doit coller avec tout le reste. Mais on peut toujours en tirer des informations sur le fonctionnement de notre univers.

Tout événement survenu au cours du rêve, et qui est cohérent avec cet univers, trouverait sa place dans le gameplay et la narration qui vont en découler.

Et enfin, l'aubaine, c'est quand notre souvenir spatial est vraiment, vraiment détaillé.
J'ai rêvé un level design et c'est pour ça que je suis complètement hypé : si seulement j'avais trois jours libres devant moi je pourrais prendre n'importe quel map editor en 3D et lui redonner vie tout de suite.
Puis, avec l'aide de la démarche un peu plus rationnelle et classique du "je trouve des références viables", je récupérerais le niveau de détail que mon inconscient avait bricolé cette nuit. L'ambiance commencerait à être reconnaissable, puis les mécaniques qui font tourner ce monde-là, puis le feeling global... Alors il sera possible de le décliner et l'étendre.

Alors évidemment, ça ne marche pas avec tout (par exemple, on ne pourra pas modéliser les relations et sentiments humains), mais... une Dream Game Jam, ça pourrait...

...vendre du rêve.

YEAAAAAAAAAAH


dimanche 15 février 2015

C'est promis, je vais laisser Shenron et Schrödinger tranquilles

En fait, deux jours plus tard, j'ai envie de revenir sur le problème de la dernière fois. J'ai pris beaucoup de raccourcis, la question n'a pas été examinée dans sa globalité et il y a encore énormément de trucs intéressants à en tirer.

Rappel des faits : pour une raison X, je choisis de tuer un ami à moi, puis d'aller chercher les Dragon Balls pour le ressusciter, et le re-tuer, et le re-ramener à la vie, jusqu'à tomber à court de voeux.
=> Question : étant donné une configuration imaginaire où j'ai un nombre de voeux infini, est-ce qu'à la fin mon ami est mort ou vivant ?

Le problème rappelle celui du chat de Schrödinger : une mise en place très farfelue et peu réaliste, à l'issue de laquelle rien ne peut indiquer si notre sujet est en vie ou non

Mais il y a une petite divergence par rapport à la question d'Erwin. Ici, on peut essayer de quantifier la solution (via l'usage d'une suite mathématique qui aura elle aussi fait couler un peu d'encre). Et là, on aboutit à une conclusion qui penche effectivement vers l'un ou l'autre des deux résultats, mais pas totalement.

Un premier éclaircissement : pourquoi "75% mort" est un gros abus de langage


Partant du principe que -1 représente la mort et +1 la vie, à ce moment-là j'ai dit "le sujet est aux trois-quarts mort" parce que la suite tend vers -0.5.
SAUF QUE, ici on parle d'un truc binaire et discrétisé. Dans le monde que l'on connaît, en général, tu es soit vivant, soit mort. Il n'existe pas de "blending" entre les deux états, donc cette phrase n'a aucun sens.

Élément important #1 : tout comme avec l'expérience du chat, la seule chose qu'on peut en déduire est que les deux états "coexistent" tant qu'on est pas fixé sur notre dernière action (le meurtre ou le voeu), c'est-à-dire tant qu'il nous reste des voeux infinis. C'est différent d'un "entre-deux".

Élément important #2 : ce résultat de "75%". Il montre une prédominance d'un état ou de l'autre, et c'est à ce moment-là qu'on s'éloigne un peu du cas de Schrödinger. Le plus logique semble de simplement l'interpréter comme une probabilité de se retrouver avec telle ou telle situation finale.

Donc, dans mon cas, si je procède à cette expérience sur un sujet que je tue puis que je ressuscite à répétition, je peux avancer que plus je poursuis le process, plus je tends vers un cas où j'ai trois fois plus de chances de le retrouver mort.

Impact des événements extérieurs : l'effet papillon


J'ai trouvé ce résultat de -0.5 parce que "je le tue, puis je le ramène à la vie, puis je le retue, etc". La suite en question vaut donc S = -1+1-1+1... donc, alternativement, S = -1 ou S = 0.
Et si j'avais pris un sujet déjà mort ? C'est-à-dire que je n'ai pas besoin de le tuer pour commencer l'expérience. Je commence par le ramener à la vie. S = 1-1+1-1... Alternativement, S = 1 ou S = 0.

Quand je prends un sujet qui est déjà mort initialement, par une cause extérieure, ma suite tend vers 0.5 et non -0.5. J'ai ici trois fois plus de chances de terminer avec un sujet vivant que mort.

Les résultats ont été totalement chamboulés par nos conditions initiales. On se rend compte que s'il fallait faire cette expérience sur une large population, ou plutôt sur deux larges populations A et B, pour avoir un point de comparaison. La population A, ceux déjà morts, finirait trois fois plus nombreuse que la population B (ceux initialement vivants).

Alors ce point est délicat, parce qu'il est difficile de voir ce qui nous pousse à compter ou non la première mort dans le calcul. On pourrait même trouver légitime de tenir compte de la naissance du sujet avant qu'il ne meure pour la première fois, et donc systématiquement commencer notre suite par un +1.
À la fin, on peut aussi penser que dans l'absolu, il serait logique de réaliser les deux expériences et en faire une moyenne. Auquel cas, on retombe sur 0 et on affirme qu'il est simplement impossible de se décider entre les deux conclusions possibles. (comme cela semblait logiquement être le cas)

Bref, cette expérience a de moins en moins de légitimité et ses points noirs sont nombreux. Mais elle aura le mérite de nous faire réaliser à quel point un petit événement initial (en l'occurrence, une naissance ou une mort) peut faire basculer le cours des choses.

"Avec des si, on peut tout faire... à commencer par couper des arbres"

L'effet papillon, c'est une réalité : parmi tous les gens renversés par une voiture ces cinquante dernières années, certains auraient probablement, par exemple, accédé à une carrière politique brillante et changé le monde d'aujourd'hui. Et quand on regarde en arrière de gros morceaux de notre vie, et qu'on remonte toute la chaîne de causalité qui est derrière, on peut souvent se rendre compte que tout est parti d'un détail stupide et anodin.

À l'inverse, on peut aussi imaginer l'impact futur d'une action qu'on hésite à accomplir ; et ça, la première saison du Visiteur du Futur l'a très bien fait avec sa punchline "VOILÀ CE QUI VA SE PASSER".

Enfin, on peut considérer qu'il existe une infinité d'univers parallèles dans lesquels ces "what ifs" se sont réalisés : ce sont les uchronies qui sont souvent très intéressantes à examiner jusqu'au bout. Des oeuvres comme Steins;Gate ou Le Maître du Haut-Château sont même allées pousser le concept de façon assumée en mentionnant l'effet papillon et/ou l'existence d'uchronies au sein même de la fiction.

Normalement le propre de ces univers est de ne jamais être connectés, excepté par leur passé commun. On ne pourrait donc hypothétiquement passer de l'un à l'autre qu'en voyageant dans le passé, comme pour prendre notre élan, et en commettant ensuite les actions qui changent le monde de sorte à nous faire arriver sur la branche correspondante : ceci implique qu'à chaque fraction de seconde, une infinité d'actions séparent chacune l'univers en plusieurs branches parallèles.

"La Porte" de FullMetal Alchemist déroge à cette règle. Dans la première série animée, elle connecte l'univers de la fiction à notre réalité (celle de la 1re Guerre Mondiale), correspond à l'aveu d'une uchronie, et est donc une sorte de matérialisation du quatrième mur.

Bref, cette porte est intéressante mais nous embête, on va oublier son cas. Du coup, à part ça, dans cette vision des choses, le temps est un arbre, le tronc est un passé qui tend à être unique au fur et à mesure qu'il s'éloigne, et les branches représentent de multiples futurs possibles, qui vont finalement tous exister simultanément. Mon jeu de mots pourri commence à gagner en profondeur et être beaucoup plus pertinent que tout à l'heure

Je pense aussi que chez les personnes extrêmement exigeantes avec elles-mêmes et/ou dépressives, le regret dû à une erreur commise dans la vie est lié à cette vision des choses : on a l'impression de s'être emprisonné dans la mauvaise branche. Et plus le temps passe, plus la branche du "what if" auquel on aspirait est éloignée. Ces personnes se sentent dériver, et à partir du moment où l'on en prend conscience on ne voit plus que ça. D'ailleurs, le fait que vous veniez de lire ceci a peut-être éveillé cette idée en vous de façon irréversible. En d'autres termes :

Je l'ai déjà dit le mois dernier, inutile de me remercier voyons



Il y a un autre article qui explicite bien cette théorie des branches, et vu d'où il sort, sa pertinence m'étonne, mais il y a moyen d'en extrapoler pas mal d'éléments sympas.

Enfin, si j'ai toujours des voeux infinis pour ressusciter mes potes de l'expérience précédente, il y aura sur cet arbre trois fois plus de branches sur lesquelles ils sont vivants que morts, à moins que je ne les tue moi-même au préalable, auquel cas ce sera l'inverse. Ou plutôt, plus on s'éloignera du tronc, plus on aura de facilité à constater que mes amis sont vivants sur les trois quarts des branches.

Sur ce, je m'arrête ici, je crois que la question a été traitée sous tous ses aspects. Il y a toujours moyen d'imaginer un esprit tordu qui dira "je fais le voeu d'être apte à tuer une personne déjà morte" pour faire tendre notre suite vers -1.5, mais... tous les Dolipranes du monde ne suffiront pas.

vendredi 13 février 2015

Futilité complète du soir : "mourir à 75%"


Il faut encourager les débats sur tout ce qui n'a aucun sens. Je demeure persuadé que c'est en décortiquant des absurdités totales qu'on peut partir sur des choses incroyablement intéressantes sans même le soupçonner.
Je m'interdis toujours d'écrire la moindre nouvelle sans avoir fini de lire l'essai de Campbell, mais je trouve constamment des sources d'inspiration pareilles et c'est toujours un plaisir.

Hier, un ami m'a fait une déclaration magnifique et inoubliable. Bon, c'était une simple idée sortie au détour d'une conversation anodine, mais sur le moment il n'a pas forcément pris conscience d'à quel point c'était une mine d'or :

• Imaginons, pour une raison ou pour une autre, tu en veux à un ami à toi. Tu le tues.
• Puis, comme c'est ton ami, tu vas chercher les Dragon Balls pour le ressusciter.
• ...Et le retuer. Parce qu'il te reste quand même deux voeux, alors tu peux recommencer un peu.
• Et à la fin, selon ton humeur, tu le laisses vivant ou mort. Disons vivant, parce que c'est ton ami.
#bromance

SÉRIEUSEMENT. VOUS TROUVEZ PAS CETTE IDÉE FURIEUSEMENT GÉNIALE ?

Il y a un potentiel énorme là-dedans. Et si on généralisait le truc ?

Problème du soir : Etant donné un univers parallèle avec des Dragon Balls infinies, plusieurs Shenron, et un nombre de voeux infini, est-ce qu'à la fin mon pote est vivant ou mort ?

En fait, c'est une version un peu plus attirante et mathématique du problème du chat de Schrödinger.

• Plus attirante, parce qu'il y a la référence culturelle dessus, et aussi parce qu'on parle de tuer un mec à répétition, et que la violence, c'est rigolol.
• Plus mathématique, parce que tout ça reprend exactement le problème de la suite de Grandi, sur lequel je m'étais déjà arraché les cheveux étant gamin, c'est-à-dire déterminer combien font 1-1+1-1+1-1+1-1+1...

Et si on part sur cette piste-là plutôt que sur celle de la physique quantique (parce que ça n'est pas donné à tout le monde, et encore moins à 1h du matin), on obtient quelque chose d'intrigant aussi.
• Je tue mon copain : -1
• Je ressuscite mon copain : +1
Et en général, on considère que cette suite "devrait" tendre vers 0.5. Sauf qu'ici, je commence par tuer mon pote, pas par le ressusciter. Donc on ne cherche pas à résoudre 1-1+1-1... mais -1+1-1+1... et l'on va tendre vers -0.5.

Alors, si -1 signifie "mort" et +1 "vivant", dans quel état vais-je le mettre si j'ai des voeux infinis ? Il sera... aux trois-quarts mort ? Uh, ça n'est pas très engageant en fin de compte. En fait, ça ne veut même rien dire. Ça n'est qu'un chiffre. Mais c'est une perspective un peu horrible, et ça peut faire penser à un zombie. Et ça nous fait repenser le concept d'amitié aussi, et la soi-disant noblesse de l'acte de ressusciter son ami
"Je tiens à toi alors je ne te laisse pour mort qu'à 75%."

75%. Ça ne tend même pas vers 0 histoire de faire moitié-moitié ! Le point de vue quantique est carrément moins pessimiste sur ce coup.

Conclusion de cette histoire : ERWIN SCHRÖDINGER ÉTAIT UN BISOUNOURS IDÉALISTE.


J'espère ne jamais oublier ce raisonnement parce qu'il est totalement exploitable (et perfectible) et détournable dans un tas de contextes différents. Enfin je ne risque pas, c'est précisément pour ça que j'en ai pris note.