dimanche 29 mars 2015

Le futur, c'est dur

Ceci est une lettre ouverte à tous ceux qui ont les mains dans le développement de jeux.
Si tu as un pied dans l'industrie vidéoludique, ton avis me sera précieux, et il se peut même que tu trouves ma question intéressante.

Je me présente juste pour poser le contexte rapidement (oui tiens, c'est mon blog et je ne l'ai jamais fait) : j'ai 20 ans, un diplôme (bac+3) en Game Design dans une très bonne école, et j'ai stoppé mes études cette année pour me concentrer sur la production de ce qui était mon projet de fin d'études, un jeu du nom de Kawiteros.

C'est une situation sympa, je bosse en collaboration avec Neko Entertainment, on gère la production en équipe réduite et les choses vont bon train, à ceci près que ma rémunération en tant qu'auteur n'arrivera qu'à la concrétisation du projet, c'est-à-dire tardivement.

Tout le monde me dit "eh mais comment tu fais ça, c'est bancal", ce qui n'est pas faux, et je réponds invariablement : "oui mais, c'est un investissement long terme et une opportunité géniale", ce qui n'est pas faux non plus. La vérité c'est aussi que dans ce secteur, tout achievement intéressant constitue une prise de risques. Jolie mise en abyme quand ton job consiste déjà à créer des mécaniques de jeu.

Donc pour résumer : ma vie démarre (comprendre : je quitte l'easy mode "être étudiant") avec un boulot de game designer / développeur / chef de projet / jongleur / kamikaze, et je m'y accroche parce que c'est représentatif de ce que je veux pour le reste de ma vie.

Quand soudain :

"EH MAIS DIS DONC, T'AS PAS BAC+5, TU VAS RATER TA VIE LOL"

...



...Ah. Ok. Dommage.

Bon. Je ne vais pas rejeter cet avis sans réfléchir : à mon âge et à mon niveau d'expérience, il m'est parfaitement impossible de savoir si c'est ou non le cas. D'ailleurs, je devrais m'inquiéter du fait que cette remarque vienne d'une bonne trentaine de personnes. Mais en réalité je me fiche que ce soit vrai ou non, et j'aimerais qu'on accorde un peu plus d'importance au point de vue inverse, que beaucoup de monde doit probablement partager.

Je suis ce sale connard idéaliste qui demeure persuadé qu'on peut s'en sortir avec autre chose qu'un master dans ce secteur, alors qu'on s'acharne à me prouver l'inverse depuis maintenant trois ans. Et c'est un forcing qui a plutôt bien marché, parce que ce soir je suis là, à cinq heures du matin, à l'avant-veille de la deadline du concours de l'ENJMIN, et je me demande à quoi va ressembler le reste de ma vie. J'envisage actuellement de sortir un plugin pour Unity comme source de revenus à court terme, c'est un peu une bouteille à la mer, et cette expérience va sûrement finir par soit me conforter dans mon idée initiale, soit me faire changer d'avis radicalement.

Les notions de routine et de stabilité me font horreur. Bien qu'on puisse y voir un certain danger, de l'autre côté, tout semble beaucoup plus propice à l'épanouissement professionnel et personnel :
• Je pourrais utiliser ces deux ans à travailler et promouvoir mes propres projets, à un rythme qui me conviendra mieux que celui d'une école.
• Et, de fait, à développer les compétences pratiques dont j'ai réellement besoin, alors qu'un projet étudiant va m'emporter dans ce que je sais déjà faire. (Les "programmeurs par défaut" sauront de quoi je parle)
• Et rencontrer des gens avec qui échanger et travailler. (En restant étudiant aussi, certes. Mais soyons honnêtes, être inscrit à une école uniquement pour des contacts déjà accessibles de l'extérieur, c'est une idée tristement stupide)

Bref. j'ai démarré le concours de la filière développement de l'ENJMIN pour faire plaisir à tous ceux qui m'y ont poussé et retarder l'échéance du choix.
• Le constat positif : le sujet me semble relativement simple et je vois que l'ICAN nous a très bien préparés à ce genre d'exercice.
• Le constat négatif : il y a une lettre de motivation à fournir. Quelle motivation ? Ici j'ai réalisé à quel point c'était bête. Ça aurait ressemblé à ça :

Madame, Monsieur,

Je suis perturbé. Sortant d’un bachelor en Game Design à l’ICAN, j’ai peur que prolonger mes études soit totalement contre-productif. Toujours est-il que si dans les jours qui viennent je venais à me convaincre de l’inverse, ce serait avec grand plaisir que je m’orienterais naturellement vers l’ENJMIN.

Je continuerais volontiers cette lettre mais je viens de griller ma crédibilité rien qu'en me présentant. C'est dommage, on aurait pu faire de grandes choses ensemble. Allez, bisous !



J'ai conscience que tout ça peut sonner horriblement arrogant (et peut-être irréfléchi) de ma part mais c'est le fond de la pensée d'un paquet de gens aspirant à être "indépendants" (un terme passé de mode, qui ne veut plus dire grand chose, mais qui résume bien l'esprit). Et surtout, cet article est le fruit de grosses interrogations. "Est-ce que mon point de vue est vraiment valide ?"
Evidemment que je doute : je suis en train de refuser l'occasion unique de suivre une formation de qualité, dont les projets sortants sont excellents, dont les anciens élèves sont brillants (je parle en connaissance de cause, plusieurs ont été mes profs). Mais je suis parfaitement incapable de me dire que j'en retirerai quelque chose. Alors je passe mon temps à changer d'avis. Plusieurs fois par jour. "Je tente, je tente pas, je tente, je tente pas..."

Finalement je n'enverrai pas ce dossier d'inscription. Parce que toute cette panique a uniquement découlé de la pression que les "pro-master" m'ont mis sur le dos : je ne regretterai pas mon choix, mais en revanche si j'y étais allé je m'en serais probablement voulu. Mais tout ça aura eu le mérite de me faire grandement réfléchir à mon avenir, et me motiver à travailler sur plein de choses.

Je reste donc dans l'état d'esprit tout rose "FOLLOW YOUR DREAMS" et pour le moment c'est ce que je conseillerais sans hésiter à tous ceux qui en auraient la volonté et l'ambition. Ou plutôt je les orienterais vers leurs propres choix en faisant remarquer que personne n'est de bon conseil et qu'il y a ici une superbe occasion de le prouver.

Ceci dit, la question subsiste. Je sais qu'elle ne trouvera pas de conclusion catégorique mais elle gagnerait à être davantage discutée. Alors, faire ce qu'on veut, est-ce que c'est une utopie vouée à l'échec ?

mardi 17 mars 2015

Démonter une horloge biologique

"Ohlalalala je suis overbooké je n'ai de temps pour rien"

Le début du scénario d'une journée classique de beaucoup de monde.
En général, rapidement, ce fil de pensée devient :

"Ohlalalala le temps passe, la nuit tombe d'ici quelques heures et je vais devoir aller dormir"

Pour enfin se poser LA VRAIE question qui nous hante à chaque minute de notre vie :

"Ohlalalala mais qu'est-ce que je vais avoir le temps de faire d'ici là ?"

Ce qui nous amène à la notion d'emploi du temps, dans le sens le plus strict du terme.
"Comment est-ce que je peux employer mon temps ?"

Là, on peut se mettre à argumenter sur ce que représente vraiment une journée, combien de temps elle dure vraiment selon nous, et partir dans ce genre de tergiversations métaphysiques qui consistent à jouer sur les mots simples et en sortir des compliqués pour se donner une crédibilité.
Mais ça n'est pas complètement stupide, parce qu'en fonction de notre résistance à la fatigue, et de quelques autres facteurs douteux impliquant de la caféine et de la taurine en quantités massives, notre fenêtre temporelle est de taille variable.

Tout le monde n'a pas la même notion du temps, ni la même productivité. Ce serait pratique de trouver une mesure qui soit pertinente pour chacun.

Et là, sudden realization : un laps de temps donné, c'est un nombre maximum de contractions musculaires que l'on peut faire avant de devoir céder à la fatigue. Ou à la mort, sur le terme de quelques décennies.

C'est mon doigt qui frappe sur une touche de clavier pour envoyer un message quelconque, ma jambe qui me porte du point A au point B, ou tout simplement mon organisme qui grille mes réserves de glucose pendant que j'essaye de mener une réflexion simple.

Les micro-inputs corporels, c'est une ressource, donc c'est une économie :

• Les mécaniques fondamentales de risk and reward s'appliquent. En gros, je peux courir plus vite pour gagner du temps et réduire les risques de rater mon train, mais je serai épuisé, et l'instant présent ( = la journée) perd probablement en durée de vie.

J'y vois énormément de potentiel pour un hard mode de QWOP.

Le facteur humain s'ajoute à cette analogie, jusqu'à pouvoir évaluer la pertinence d'un investissement (ou d'un non-investissement) :

• Creusons ce système à l'extrême : prenons un kikoolol basique, inapte à parler dans un français correct. (oui ok j'utilise des termes périmés depuis 2005 et c'est un crime, passons)
Est-ce qu'il gagne vraiment du temps en épargnant une lettre sur deux ? Fondamentalement oui, mais la perte de crédibilité qui en résulte peut le rendre inefficient dans certains cadres. Exemple cliché : si j'ai l'air stupide, je n'aurai pas le travail que je veux et je ne serai pas en mesure d'augmenter mon niveau de vie. On peut alors dire que mes inputs auront été mal investis.

Alors dans tout ça, que représente la notion de "minute" ou d'"heure" ?

> Ce sont uniquement des repères de plus grande échelle pour qu'on puisse comprendre de quoi on parle et avoir un repère absolu, un peu comme on se sert des moles pour compter les atomes.
Plus précisément, mieux vaut comparer ici "une minute" et "un gramme" : parce que différents matériaux ont différentes masses molaires, et différents individus sont capables de réaliser un nombre d'actions différent par minute.

Aussi rageant soit ce brave monsieur, il constitue une illustration explicite de mes propos, et aussi une bonne raison de taper dans vos mains tout seul devant votre écran.


En attendant, ironiquement, réfléchir à ça m'aura pris du temps. (forcément)
Alors, productivité ou contre-sens total ?