mercredi 14 janvier 2015

Level Up !

J'ai démarré mon vingtième carnet aujourd'hui ! \o/

...Ok ça n'est pas forcément très parlant. Voilà :



Pas mal de monde fait ça me semble-t-il. Aussi, je suis très attaché au fait d'avoir systématiquement le même carnet A7 qui tient dans une poche, toujours bien daté et noté. Le côté psychorigide qui ressort un peu.

Il y a un certain nombre de points positifs à ça :
• Ils sont pas chers.
• On note tout ce qu'on veut quand on veut.
• On peut dessiner !
• Voire même faire des origami. Ou des schémas 3D. C'est dommage de se limiter à la fonction "réceptacle à encre" alors qu'il y a tellement de choses à faire avec une feuille de papier.
• On se souvient systématiquement de ce qu'il y a dans chaque carnet. Parfois je fouille dans mon n°13 pour y retrouver mon voyage à Londres, ou dans le n°7 pour un conseil utile.
• On peut se la péter en répétant sans cesse qu'on a toujours un carnet sur soi et qu'on en est au vingtième, et se sentir stupidement fort pour aucune raison valable.

• Et surtout, c'est une capsule temporelle d'une énorme qualité. Parce que je sais que je le relirai tôt ou tard et que mon "moi du passé" aura toujours des trucs à m'apprendre. Paradoxalement pour anticiper ça il faut avoir une estime de soi à la fois très haute et très basse pour penser qu'on aura des leçons à prendre d'un gamin, mais qu'à l'inverse, quand on est ce gamin, on a malgré tout assez de trucs pertinents à dire.

Bref. Maintenant dans la vie je considère que "je suis level 20".
C'est le même principe que certaines personnes qui bossent dans le développement de jeux vidéo, et qui cherchent à styliser leur CV, et lui donnent une apparence de fiche de stats comme dans l'interface d'un RPG ; alors, comme ils ont le soin du détail, ils s'indiquent un niveau, qui correspond à leur âge.
En fin de compte, faire le parallèle entre nous-mêmes et un personnage de RPG, même de façon inconsciente, c'est une chose courante : on pense à nos compétences, aux endroits qu'on a visité, aux gens qu'on rencontre, etc.

Et même si ça peut paraître un peu enfantin, ça n'est pas totalement idiot quand on tient beaucoup à s'auto-évaluer, et à garder une trace du déroulement précis de notre vie. Selon cette logique, on pourrait même tenir un registre de toutes les personnes qu'on a rencontrées, à quelle date, avec qui, si elles sont restées dans notre vie ou non...

Je pense que c'est même une pratique courante chez les gens à caractère overachiever. Parce que quand on refuse l'idée d'être (même un tout petit peu) déficient dans un ou plusieurs domaines (ou, pour la plupart des gens concernés, partout), on est très souvent amenés à poser sur soi-même ce regard critique très sévère que les autres n'ont pas. Sauf les gens dangereux, mais ça c'est autre chose.

Toujours est-il que je ne mesure pas mon "niveau d'expérience de la vie" avec mon âge mais avec mes carnets, parce que je trouve ce critère-là bien plus intéressant. Tu peux rater ta vie pendant trois ans et stagner sur tous les plans, tout comme tu peux vivre énormément de choses en un laps de temps très réduit, des choses qui t'auront poussé à réfléchir ou noter un tas d'idées, dont certaines que tu exploiteras sûrement plus tard.

C'est une sorte de gamification de la vie poussée à l'extrême. Mais j'aime bien cette idée, alors que des concepts comme HabitRPG me font carrément peur. En fait ici le terme de gamification est mal choisi. Ce qui me plairait, ça n'est pas la perspective de modeler ma vie à l'image de game mechanics (ce serait triste quand même), mais justement d'utiliser des situations réelles comme référence pour aboutir à des jeux originaux. Observer puis quantifier tout ce qu'on a sous la main, et créer un design à partir de ça, et non l'inverse.

Pour ça, la comparaison entre une équipe de développement d'un jeu et une team de raid sur WoW m'a toujours frappé.
• Les game designers qui vont vers les problèmes en amont = les tanks.
• Les chefs de projet qui permettent à tout le monde d'avancer plus vite sans trop de pression  = les supports.
• Les graphistes et les développeurs qui attaquent la production et font concrètement avancer la situation = les DPS et les mages.
(Et avec la possibilité de cumuler des jobs et plus ou moins se spécialiser, cette métaphore pourrait partir TELLEMENT LOIN même le temps d'une simple jam)

Voilà, peut-être que je passe pour un con avec mes 20 carnets A7, mais ils m'auront fait m'ouvrir à un concept d'antigamification. (Il doit exister un mot plus élégant et parlant pour ça, mais pas dans ce qu'il reste de mon vocabulaire à 1h du matin.)


Bref, je les aime ces petits.

jeudi 8 janvier 2015

Dissections : les pensées, les objets, tout

La date de parution de cet article prouve encore mon incapacité totale à faire quelque chose avec régularité et assiduité. C'était tellement prévisible que je ne m'en veux pas. :')

Aujourd'hui, comme souvent, je me dis que l'être humain, son corps, plus précisément son cerveau, c'est une machine assez bizarre. Une machine au fonctionnement difficile à appréhender, assez imprévisible, et qui peine à mettre tout le monde d'accord. Évidemment quand je dis machine humaine, je ne parle pas ici du point de vue biologique et médical, mais de notre mode de pensée, la réflexion, la logique, les émotions, les sentiments, l'intuition... Bref, tout ce qui n'est pas (ou trop peu ?) physiquement palpable, et sur quoi un grand nombre de psychologues, et surtout de psychiatres incompétents émérites, vont encore se casser les dents pendant bien longtemps.

Et pour certaines personnes, il y a ces moments de micro-introspection inconsciente, où l'on s'observe avec un certain détachement, et où l'on commence à analyser tous nos faits et gestes. Et là, potentiellement, la vie devient carrément plus fun.

Rien qu'au niveau somatique, ça donne ça :

• Prendre conscience qu'on est en train de produire de la salive.
• Que nos orteils se touchent.
• Que notre mâchoire a un poids.
• Que notre nez se trouve dans notre champ de vision.

Je viens de détruire votre journée ? Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir.

Mais ça, ça n'est pas le layer de conscience le plus intéressant. Au niveau d'en-dessous, on se rend compte de notre processus de réflexion, et on commence à mettre notre cerveau en abyme :

• "Je suis en train de réfléchir"
• "Tiens, penser à telle chose a provoqué telle association d'idées"
• "C'est fou, le temps moyen d'une pensée est inférieur à 1µs, je pourrais partir si loin en une minute"
• "Et là je suis en train de penser que je pense que je pense"
• "Et là aussi."
• "Woah, les propositions logiques s'enchaînent tellement vite que j'ai déjà atteint quatre niveaux d'abstraction"
• "Et comme j'ai commencé à les compter, c'est comme si ma réflexion changeait de dimension, non ?"

(Ceux qui ont déjà connu cette situation la trouveront beaucoup trop fréquente à leur goût)

Et encore, ça c'est un process linéaire, mais il paraît qu'un quart de la population fait ça de façon arborescente sans problème et maintient plusieurs réflexions simultanées. Souvent c'est très avantageux, tout comme parfois ça peut leur faire mener une vie sacrément pourrie. Ahahah pauvres de nous
(Je prends le chiffre avec des pincettes. Fin 2010 est sorti un fameux bouquin de vulgarisation psychologique qui a bien explicité ça, ainsi qu'un tas d'autres sujets qui font que 66% de ce livre valent vraiment la peine d'être lus.)


Donc, ok, on réalise que l'on traite de l'information. Que l'on analyse des trucs. Mais à quoi tout ça nous avance ?
=> Être capable de s'observer penser, c'est avoir l'opportunité de voir comment on pense.

Il y a des méthodes d'approche différentes pour traiter une information, comprendre une situation et en déduire des choses. Et là, on retombe sur des méthodologies utilisées en programmation : coder, c'est (parfois) modéliser une situation, avec des objets en présence qui doivent interagir ensemble, et comme le monde entier doit être créé à la main, il ne faut rien laisser au hasard.

La métaphore est pompeuse, mais...


Ça veut dire qu'on est amenés à tout décortiquer dans les moindres détails, jusqu'à ce que chaque entité, chaque objet, puisse être ramené à une série de paramètres qui se résument à des valeurs très simples, comme des nombres, ou des mots, ou des couleurs... C'est le modèle objet, (la programmation orientée objet, ou POO), et c'est pratique. Mais c'est chiant. Personne ne fait ça dans la vraie vie. Le cerveau humain ne fait pas cette décomposition systématiquement, sinon tout le monde deviendrait complètement fou.
C'est pour ça qu'être développeur, c'est un travail. Un travail potentiellement enrichissant voire passionnant, certes, mais la POO ça ne nous aide pas à comprendre l'ouverture facile de notre paquet de céréales le matin.

Alors il faut qu'on aille vers un autre modèle de pensée, plus généraliste. On va quitter la philosophie "objet", et aller vers la philosophie "composant".

Notre cheminement pour comprendre les choses, c'est de décomposer les objets pour pouvoir les définir. Et nous, instinctivement, quand on décompose, on ne cherche pas des paramètres auxquels donner une valeur, on cherche des attributs précis aux choses que l'on analyse. On aime pouvoir se dire que les choses complexes sont un assemblage de choses simples. Par exemple, cela explique le gros succès médiatique du projet Phonebloks, le smartphone en kit :

Tout s'enlève, tout se remplace, tout est modulable de façon indépendante, et la vie est belle


En revanche, un an après j'avoue ne toujours pas comprendre pourquoi les gens se sont dits "surpris" à l'annonce d'objets composites. Le monde s'est exclamé que c'était une idée révolutionnaire qui ne rappelait rien d'existant, alors que, well... n'importe quel cerveau fait ça de chaque objet à chaque instant. Ensuite, je conçois que pouvoir enfin manipuler physiquement ce qu'on a en tête depuis des années est quelque chose d'ultra jouissif. Mais tous les objets de la vie quotidienne (même les plus simples) devraient marcher comme ça depuis plusieurs années. Bon, heureusement, c'est en marche.

Le développement de jeux fait ça aussi, des moteurs comme Unity fonctionnent avant tout en simplifiant les choses avec des "composants" : c'est-à-dire, "je pose tel script sur tel objet, et j'en enlève un autre".
On remarque que quand on raisonne comme ça, toutes les entités autour de nous sont en fait des coquilles vides identiques, prêtes à devenir ce qu'on décide d'y mettre. D'ailleurs dans Unity, cette coquille vide s'appelle le GameObject, c'est un nom très vague, et pour cause, ça peut être amené à désigner tout et n'importe quoi.

Ce truc que j'appelle la "pensée composite", j'y tiens beaucoup parce que ça fonctionne réellement avec absolument n'importe quoi. C'est comme si n'importe quel objet -voire n'importe quelle personne- sortait tout juste de chez Ikea et qu'on l'examinait pour voir ce qu'on peut y ajouter ou en retirer.

En fait, c'est même cette petite showerthought insignifiante qui m'a rappelé tout ça : et si les gens étaient réellement composites ? Et si c'étaient des aléas matériels qui définissaient le fait qu'une personne a été "assemblée" avec certaines qualités ou défauts ? Le respect, la gentillesse, le charisme, l'éthique, l'hygiène, la condition physique, la pilosité...

Ohwait, un film a failli traiter ce sujet. Il aurait juste fallu qu'arrivé à la moitié du scénario, Michael Bay ne se souvienne pas qu'il était Michael Bay et devait, à ce titre, faire du Michael Bay.

Alors, imaginons un instant un monde où la réponse basique à "comment on fait les bébés" est beaucoup plus technique et nécessite de construire au sens propre un être humain. Et si tu n'as pas certains prérequis, et que tu t'y prends mal (bad parenting), tu dois faire l'impasse sur certaines des qualités humaines de ton gamin.

• D'un côté c'est une métaphore assez directe et réaliste, parce que dans les faits la vie et l'éducation se déroulent précisément comme ça, mais sur plusieurs années et non quelques minutes. Ce genre de fiction pourrait être une version fast-forward de notre vie.
• Mais en même temps, ça a l'apparence (je dis bien l'apparence) d'une vision utopiste : si quelque chose ne va pas chez un être humain, on pourrait simplement "le remplacer, le réorganiser, et en faire une meilleure personne"... Ce qui, ceci étant dit, correspond à un point de vue simplement dénaturant et eugéniste. Pour l'utopie, on repassera.


Bref, une fois de plus je vais dire "Ohlala si seulement j'avais le temps d'écrire une nouvelle sur le sujet !" et retourner jouer à Pokémon.
Mais c'est terriblement tentant, et j'insiste sur le fait que n'importe quel autre concept existant devrait avoir un potentiel créatif énorme si on y appose la pensée composite.