mardi 16 septembre 2014

Perception du temps dans les jeux : notre cerveau est une nouille

Le temps est un truc vraiment fascinant. C’est ce que je passe mon temps à me dire quand je traîne pour faire quelque chose. Il y a des gens (dont moi) qui ne supportent pas de rester inactifs pendant ne serait-ce que quelques minutes, parce que « perdre du temps » est une idée horrible : c’est une ressource capitale et on ne la maîtrise absolument pas. Pas du tout.
On appréhende même tellement mal le temps par rapport à l’espace, qu’en 2014 la science préfère essayer de nous envoyer à des distances énormes dans l’espace, plutôt que de nous faire avancer ou reculer de juste trois minutes.

Si on met de côté les théories complexes qui ne sont maîtrisées que par une petite élite intellectuelle aux goûts étranges en matière de web design, on est quasiment certains qu'on n'aura jamais la moindre réponse à nos incertitudes, ce qui nous laisse condamnés à subir l’écoulement du temps. Et un jour, on mourra. Terrifiant, mh ?

Prouvez-moi l'inverse.

Bref, des articles sur le temps j’en ferai d’autres, plus tard, la question est trop large et ça n’est pas à ça que je veux aboutir cette fois-ci. (Et puis ce sujet m’obsède, je risque pas de l’oublier.)

Ce qui m’intéresse là, c’est juste notre façon à nous de voir et de mesurer le temps, nous les pauvres petits humains idiots et incapables de remettre en question notre vision linéaire de tout le système temporel.
Donc pas d’espace-temps 4D pleinement navigable, pas d’uchronie, pas de temps cyclique : nous, on fonctionne juste par milestones. On a besoin de repères pour tout positionner de façon relative : le lever du Soleil, la pause déjeuner, la naissance de Jésus-Christ, notre anniversaire, etc.

Et donc, penser avec une timeline, ça nous rassure. Exemple concret : dans un studio, une équipe de plus de 4 personnes va toujours beaucoup plus patiner si elle n’est pas encadrée par un chef de projet et un rétroplanning.

Et moi qui ai tendance à souvent tout ramener au jeu, j'ai un très bon exemple sous la main, auquel je joue pas mal ces temps-ci : Hearthstone.

Ce qui m'intéresse le plus, c'est cet élément de GUI du coin inférieur droit.

Beaucoup de monde estime que c’est un « mauvais jeu » en avançant des arguments qui se limitent tristement à son modèle économique pertinents vis-à-vis de Magic: the Gathering : Blizzard n’a pas inventé grand chose et le gameplay est moins riche que celui de MtG. Ok, certes. Mais le fait est que cela fonctionne et parvient à attirer des joueurs : ça signifie que le système a été simplifié de façon intelligente. Alors c’est intéressant de se demander comment cette simplification a été faite.

Beaucoup de mécaniques ont été coupées. À commencer par celles qui rendaient le jeu online plus compliqué : bloquer des attaques, jouer une carte pendant le tour ennemi… Mais surtout, alors que MtG demande au joueur d’amener lui-même les ressources qui l’autoriseront à agir plus tard (le "mana"), ici le mana est auto-généré.

Cette jauge.

Contrairement à Magic: the Gathering où poser un « terrain » constitue une action répétée (ou non) à chaque tour, le processus est automatisé ici. Un tour, une action.
Ceci se fait sous la forme d'une barre de cristaux qui se remplit d’elle-même au fil du temps. Elle a donc une fonction bien plus importante que « indicateur de quantité de ressources » : c’est la timeline de la partie.
C'est ce repère qui nous rassure et qui nous rappelle où on en est dans le jeu. C’est en grande partie pour cela que le jeu nous accroche : c’est confortable.
Et je suis sûr que si l’on avait accès aux outils d’eye-tracking utilisés par certaines entreprises en phase de tests, on verrait les joueurs regarder ce coin de l’écran plus qu’ils ne le pensent.

De là, plusieurs corollaires intéressants à noter :
  • Quand on finit son tour sans avoir consommé toute sa réserve, on est frustré. Parce qu’on n’a pas joué pleinement son tour : c’est du temps qui a été gâché.

  • Au-delà du tour 10, la jauge arrête de grandir. Et c’est déstabilisant. Quand la partie traîne, ne serait-ce qu’au tour 12 il n’est pas rare de complètement en perdre le fil et n’avoir aucune idée du nombre exact de tours qui se sont déroulés depuis que cette barre est pleine.

  • C’est satisfaisant de jouer des cartes comme La Pièce ou Croissance Sauvage. Parce que cela constitue un bond dans le futur.

  • De même avec la mécanique de Surcharge : hypothéquer ses points de mana sur le tour suivant pour jouer des cartes plus fortes à l’instant T, c’est une façon de manipuler le temps.


La présence de cette timeline, et surtout le fait qu’on puisse impacter dessus avec nos cartes, nous permet de contrôler le déroulement de la partie. Cette partie n’a de sens que parce que les actions se sont déroulées dans un certain ordre, et chacune d’entre elles est justifiée par les événements précédents.

Ce contrôle qu’on a dans le jeu, on ne le réalise pas forcément mais c’est une sensation géniale. Si c’était possible à l’échelle de la vraie vie, on utiliserait notre calendrier en tant qu’interface : « la journée de demain ne me sert à rien, je vais en prendre deux heures et les transférer sur le 2 octobre ». Des nouvelles ou des romans ont dû être écrits sur ce modèle, et dans tous les cas c’est une piste vraiment cool pour de la fiction.

Mais ici encore, notre façon d’appréhender le temps nous trahit. Pour réfléchir, on découpe le temps en années, en heures, en quarts d’heure… En vérité le temps n’est pas discrétisé ( = découpé en un nombre défini de sections) mais totalement continu. Mais on a besoin de cette vision discrétisée pour correctement le visualiser et le contrôler.

Idem pour la durée d'une vie humaine. (Taille réelle ici)

Si on repart sur l’exemple du cadre ludique, une fois de plus le gameplay d’un jeu comme Hearthstone est confortable parce qu’il colle à notre vision réduite des choses en proposant un écoulement du temps totalement discret. L’état du système avance seulement parce qu’un joueur a effectué une action.

Et les autres types de jeux ?


Au sens large, par timeline, j'entends un élément du jeu, graphique de préférence (parce qu'on préfère les repères visuels), dont l'aspect va évoluer pour nous indiquer, de façon directe ou indirecte, où on en est dans notre progression. Cette timeline n’est pas toujours présente d’une manière ou d’une autre, mais le cas échéant sa présence fait souvent qu'on va considérer un jeu comme "facile d'accès".



Le niveau typique d’un Super Mario World est en longueur, va de gauche à droite, et ponctué de checkpoints et/ou de portes : l’environnement lui-même est notre timeline, et Mario est une simple tête de lecture. Certes c'est plus un repère spatial que temporel, mais dans de nombreux cas (speedrun !) il est intéressant de pouvoir mesurer un niveau en secondes et non en pixels.

Il y a aussi certains shoot’em up qui disposent d’un morceau de l’interface qui révèle notre progression dans le tableau, sous la forme d'une jauge. Bref, les exemples sont nombreux.

Et lorsqu’elle n’apparaît pas, cela crée l’impression d’être dans un grand cadre sur lequel on n’aura que très peu d’emprise, voire aucune. C’est le cas des mondes ouverts où il faut se contenter d’une succession de quêtes et d’un cycle jour-nuit, ou de certains jeux de gestion qui nous donnent le sentiment qu’on a trop d’options à gérer simultanément.

C'est logique : le fait qu'un système de jeu puisse intégrer une timeline signifie que la succession de tout ce qui s'y passe est "prévue", il ne peut pas s'agir d'un environnement de liberté totale.

(Source : fronttowardsgamers)


Doodle God est génial mais affreux pour ça. « Salut, voici 150 éléments, amuse-toi à tous les combiner deux par deux pour voir lesquels font avancer le jeu et en débloquent d’autres. Have fun ! » Les milliers d'interactions possibles peuvent se faire dans absolument n'importe quel ordre. À la limite le menu de sélection des ingrédients peut être vu comme une timeline, vu qu’il grandit au fur et à mesure. Mais on s’y perd.


Bref. Notre vision du temps est pourrie parce qu’on a besoin de trente millions de repères, mais c’est pour le plus grand plaisir de notre imagination : n'importe quel processus de manipulation du temps nous paraît extraordinaire (ou alors c'est juste moi). Cette perspective nous fait rêver et c’est aussi ça qui fait une expérience de jeu réussie.

Du coup, j'attends encore de pouvoir jouer à (ou créer !) beaucoup de jeux qui expérimentent sur ce mode de perception du temps. On pourrait travailler sur une adaptation temporelle de la mécanique de Portal. Ou on pourrait s'amuser à mettre en place des espaces-temps encore plus compliqués, qui nous offrent davantage de contrôle.

Cette idée va dans la même veine que des jeux comme Braid ou Prince of Persia : Sands of Time qui sont géniaux parce qu’ils nous forcent à faire évoluer notre conception du temps en se débarrassant de sa contrainte majeure : « ça ne va que dans un sens ».

Tout ça nous permet de considérer (enfin) le temps comme une dimension à part entière.
Et de toute façon, si Emmett Brown le dit, c’est que c’est vrai.

dimanche 14 septembre 2014

Bonsoir.

Bonsoir !

Je poste ce premier article maintenant pour tester le layout du blog. Sinon il sert aussi à présenter le concept.


Parce que bon, il faut bien commencer quelque part.

Ce blog sera un notebook géant (et grand ouvert).
Il va servir à conserver de nombreuses réflexions très variées autour de tout ce qui me passe par la tête et que je juge intéressant. Voilà.

Donc certaines de ces réflexions vont me tenir à coeur et prendre beaucoup de place, alors que d'autres seront peut-être brèves, rigolotes et parfaitement inutiles, mais auront eu le mérite d'avoir retenu mon attention pendant pas mal de temps.
De toute façon mon métier consiste à créer des jeux, alors pour moi l'inutilité est un concept assez relatif.

Ensuite, justement, il y a aussi les idées et concepts autour du jeu : les idées fusent trop vite pour être (toutes) prototypées, et il y a certains mécanismes et comportements que je veux malgré tout continuer à réfléchir et à creuser. Ces idées seront donc déchargées ici.

Bref, je veux partager ma curiosité et ma créativité (la modestie coucou) et aboutir à quelque chose de constructif en exploitant ma tendance à digresser vers à peu près n'importe quoi. Donc je ne saurais pas vraiment faire la liste de tout ce qui va atterrir ici. Suspense !